Depuis 1994, Les Rencontres de la jeune photographie internationale de Niort poursuivent leur volonté d’être un incubateur de création artistique. Au cours du festival, six photographes français·es et internationaux·ales émergent·es sont invité·es en résidence. Durant deux semaines, iels se confrontent à leur pratique, sortent de leurs retranchements. En l’espace de la « folle nuit », les auteur·ices décrochent leurs expositions initiales, issues de leurs dossiers de candidature, et installent leurs œuvres fraîchement réalisées. Récit d’une nuit que les artistes ne sont pas prêt·es d’oublier.
Le vendredi 25 avril 2025 s’est déroulée à la médiathèque Pierre-Moinot de Niort une « folle nuit ». Depuis le 5 avril y étaient exposé·es six artistes – Joan Alvado, Jasper Cao Yi, Mélanie Dornier, Melody Garreau, Henri Kisielewski et Tanguy Müller – à l’occasion des Rencontres de la jeune photographie internationale de Niort. Tous·tes ont été sélectionné·es dans le cadre du programme de résidence du festival, dont le concept séduisant encourage la création. Durant quinze jours, alors que les séries issues de leurs dossiers de candidature jalonnaient les cimaises de la médiathèque, les six photographes ont investi le territoire niortais, ses alentours et les laboratoires de la Villa Pérochon, ont questionné leur pratique et ont produit une œuvre inédite vouée à être présentée pour la deuxième partie des Rencontres. Le challenge est d’envergure : trouver un sujet, réaliser les images, l’édition, l’impression, l’encadrement. Le temps d’une nuit, de 21 heures à 2 heures top chrono, leur espace d’exposition est devenu un terrain de changements, de stress et d’expérimentation. « Une exposition en chasse une autre », s’amuse Philippe Guionie, directeur de la Villa Pérochon.
Mémoire et imaginaire
L’après-midi avant le décrochage, le trac s’installe. Joan Alvado, Jasper Cao Yi, Mélanie Dornier, Melody Garreau, Henri Kisielewski et Tanguy Müller finalisent leurs projets de résidence. Au laboratoire de la Villa Pérochon, on emballe les cadres dans du papier bulle, on découpe méticuleusement certaines images, on achève les derniers tirages. « Jasper est même allée à Emmaüs, en dernière minute, chercher de petits cadres. Elle a le sens du détail », précise Philippe Guione. La famille de résident·es fait un dernier pèlerinage à la médiathèque pour s’imprégner de ses travaux de candidature et raconter une dernière fois les histoires qui se cachent derrière leurs images. Melody Garreau ouvre le bal sur sa série L’innocence ternie qui dépeint la relation charnière entre sa mère et sa sœur aux portes de l’adolescence. « J’ai quitté l’Angleterre pour la France à ce moment précis. Des schémas familiaux se répétaient, il y avait un rejet, mais étant loin, j’avais un sentiment d’impuissance. Réaliser ce travail était aussi un prétexte de revenir et de créer des moments avec elles », précise la photographe.
En face de monochromes granuleux rayonne la couleur de Non Fiction d’Henri Kisielewski, un récit fictif entièrement fait à partir d’éléments de réalité, dont un livre vient d’être publié aux éditions Le bec en l’air. Il détaille de petites anecdotes qui se cachent derrière certains de ses clichés : d’heureux hasards et quelques mises en scène. « Mais je ne vous dirais pas trop, sinon cela va déconstruire la trame de mon histoire », alerte-t-il. Joan Alvado, lui aussi, nous embarque dans un imaginaire débordant. Sa série Les Ballades du corail, réalisée lors du festival InCadaques, en Espagne, retrace une expédition sous-marine. Or, l’artiste ne plongera jamais la tête sous l’eau pour la matérialiser. « J’ai croisé la lecture de Vingt-mille lieues sous les mers de Jules Verne et les histoires des pêcheurs locaux pour composer une aventure à l’image des livres que je lisais étant enfant », confie le photographe.
La nuit de la métamorphose
Sous l’œil bienveillant de Kourtney Roy, invitée d’honneur de la 31e édition du festival niortais et marraine des artistes en résidence, Joan Alvado, Jasper Cao Yi, Mélanie Dornier, Melody Garreau, Henri Kisielewski et Tanguy Müller, accompagné·es de bénévoles et de l’équipe de la Villa Pérochon, œuvrent au décrochage de l’ancienne exposition et à l’installation de la nouvelle. Il est 23 h 30, la médiathèque est en effervescence. Papier bulle et cartons jonchent le sol, des lasers rouges indiquent avec précision les futures positions des cadres et des images sur les murs. Henri Kisielewski est calme devant son ordinateur, il examine sa scénographie en devenir. Jasper Cao Yi et son équipe cloutent sur les cimaises des tirages en noir et blanc. L’artiste chinoise documente en parallèle avec son appareil instantané cette « folle nuit ». Tanguy Müller perce ses boîtes en bois qui révèlent des pieds d’oiseaux empaillés. Plus tard, il raconte avoir eu accès à la réserve ornithologique du musée Bernard d’Agesci du Niort. « Dans cette collection du vivant, il y avait quelque chose de très analogique, comme de la photographie », réfléchit-il. Doucement, tout prend forme. La nuit va être courte.
Une nouvelle médiathèque
Le lendemain, à 10 h 30, on discerne quelques cernes sous les yeux des artistes. « Iels ont terminé à 1 h 47 », révèle Philippe Guionie. Jasper Cao Yi rectifie : en ce qui la concerne, les derniers détails ont été ajoutés le matin même avant l’ouverture au public. Sa série empreinte de tendresses et présentée avec minutie nous transporte dans un voyage au bord de la mer vers la Rochelle. « J’ai voulu faire dialoguer mes photographies avec celles des vacances issues de mon album de famille, comme si c’était elle qui prenait mes clichés. Malgré les plages différentes qu’on fréquentait, la mer et l’horizon sont devenus notre lien », explique-t-elle. À même le sol, un livre cousu à la main se déploie sur le sable. Sur la cimaise mitoyenne, on découvre les gravures non toxiques de Mélanie Dornier et ses tirages réalisés de manière écologique avec de la plante de consoude qu’elle a trouvée dans le marais de Niort. « Je relate l’histoire de Mélusine, mi-femme, mi-créature qui vit dans le marais », détaille l’artiste. Un sein délicat, une mue de serpent, l’eau, la végétation flamboyante : un mythe écoféministe se dessine.
Plus loin, les tirages de Joan Alvado ensorcèlent. Un papier mat, des cadres gris foncé, les couleurs éclatantes du feu, des visages en transformation. Avec La Bête, il s’intéresse au concept de monstre : « Je suis partie de la légende du monstre du marais poitevin, une créature ressemblant à un loup, raconte le photographe. J’ai cherché cette figure tout en me questionnant sur quelque chose de plus important, la notion de marginal. Dans chacun·e de nous sommeillent les aspects d’un monstre. » Alors qu’il présente son œuvre, on aperçoit dans le public les modèles qui se sont prêté·es à l’exercice. « Iels étaient presque tous·tes là pour découvrir l’exposition », se réjouit-il. Cette nouvelle exposition collective court jusqu’au 25 mai 2025, date de fin des Rencontres de la jeune photographie internationale de Niort. Tanguy Müller souffle, avant de déserter l’espace : « Je souhaite continuer mon projet. Je sais que je vais revenir à Niort, et rouvrir les portes de la collection du musée. »