
À la librairie 7L, le photographe népalais Arhant Shrestha présente Loose Fist, livre et exposition issus d’un long travail de réappropriation intime. Lauréat 2024 du grand prix du jury de la Photographie 7L au Festival de Hyères, il dévoile un récit visuel où la peur, la confrontation et l’empathie se mêlent pour réinterroger la masculinité dans son pays natal.
Arhant Shrestha a grandi à Katmandou, au Népal, où il vit toujours. Son lien avec cette ville est si étroit que c’est en essayant de mieux l’appréhender qu’il a commencé à photographier. « Je voulais comprendre ma ville, Katmandou, et ses habitant·es. J’ai découvert que c’était un moyen de communiquer et de m’exprimer d’une manière que les mots ne me permettaient pas », confie l’artiste qui a étudié la photographie à New York. À travers le médium, il voit un prolongement naturel de sa perception du monde. Ce rapport autrefois apaisé à son environnement s’est brutalement brisé lorsqu’il a été victime, avec son compagnon, d’une violente attaque homophobe par un groupe de jeunes hommes. « À la suite de cet évènement, j’ai développé une forte peur des hommes. C’était très frustrant. Je comprenais que cette peur était irrationnelle. L’idée de vivre dans un état de victimisation prolongé ou permanent me mettait en rage », se souvient-il. Pour ne pas rester prisonnier de cet état, il utilise le langage qu’il maîtrise le mieux : la photographie. Il arpente la ville la nuit, aborde des inconnus, capture des visages qui l’effraient autant qu’ils l’intriguent et s’immisce dans des environnements très masculins et dominés par les hommes, tels que des festivals religieux. Peu à peu, cette démarche donne naissance à Loose Fist.
Par ce titre, Arhant Shrestha illustre le geste d’une tension encore palpable. « Un poing légèrement serré est un geste ambigu. Symbole d’une violence latente ou d’un moment précédant celui où l’on tend la main », explique-t-il. Tout le projet joue sur ce fil, entre le désir de riposter et celui d’approcher ces hommes pour mieux les comprendre. « En photographiant des inconnus sans leur consentement explicite, avec un flash puissant, c’est comme si je présentais ces hommes comme les coupables d’un crime qu’ils n’ont pas commis », admet-il, conscient de la dynamique violente ancrée dans son geste. Mais, dans le même mouvement, il cherche chez eux une complexité plus vaste, un espace de tendresse possible.


Écrire une autre masculinité
Au fur et à mesure de sa démarche, Arhant Shrestha élargit son approche. Les images spontanées de ses débuts côtoient désormais des scènes construites avec des proches, des amis ou des hommes croisés dans le bar gay où il travaillait. Il y cherche des formes de complicité et d’attention qui lui rappellent que l’intimité masculine existe, même dans une société traversée par les injonctions viriles. « Je voulais explorer cette idée d’affection et de soutien entre hommes. » Certains clichés réactivent directement la violence de l’agression, comme cette image où plusieurs hommes lavent le corps d’un autre. « Il s’agit d’une référence à un moment précis après l’attaque, où mon partenaire et moi nous sommes nettoyés mutuellement le sang. » D’autres marquent des étapes plus sensibles. Parmi eux, un portrait nocturne reste spécifiquement gravé dans la mémoire de l’artiste. Celui d’un homme au regard dur, éclairé par un flash en pleine nuit. « Son visage à moitié éclairé et dans l’ombre exprime mon désir de confrontation. L’approche hésitante adoptée pour le photographier contraste avec les images suivantes, qui sont mieux éclairées et beaucoup plus agressives dans leur utilisation du flash. Sur cette image, l’homme a un pouvoir sur moi », constate-t-il. L’évolution du projet renverse ensuite cette dynamique, à mesure que sa propre peur perd de son emprise.
Cette traversée lui a offert, contre toute attente, un cercle de solidarité inattendu. « Je me suis retrouvé dans une communauté avec d’autres hommes d’une manière que je n’avais jamais connue auparavant. » Le photographe garde malgré tout un regard lucide sur Katmandou, où il s’est longtemps senti pleinement accepté en tant qu’homme gay. « Avant l’agression, je ne m’étais jamais senti en danger ou rejeté… D’après mon expérience personnelle, j’aimerais croire que la violence homophobe dont j’ai été victime était un incident isolé. » Pour lui, une phrase résume parfaitement son cheminement : « Quand je regarde les hommes sur mes photos, je vois en eux les visages et les corps des hommes qui m’ont fait du mal, et dans leurs visages et leurs corps, je commence aussi à me voir moi-même. » Cette superposition de présences masculines et cette manière de transformer une blessure en miroir se reflètent avec autant de fébrilité que de pugnacité dans Loose Fist. Présentée à la librairie 7L jusqu’au 17 janvier 2026 dans le cadre de PhotoSaintGermain, l’exposition offre un prolongement au livre. Un espace où le poing tremblant du titre se desserre, image après image.





