Dans le cadre de la campagne Osez Photoshop, nous avons eu l’occasion de rencontrer l’artiste-plasticienne Marilou Poncin dans son atelier à Artagon Pantin. Entouré·es de ses créations, nous avons échangé sur son parcours et les questionnements qui habitent sa pratique et animent son imaginaire. Le travail de Marilou, c’est tout un univers, fabriqué de toutes pièces et jouant avec la notion de représentation et de mise en scène. Au cours de notre entretien, elle nous raconte comment les outils numériques comme Photoshop, lui permettent de créer cette réalité nouvelle, résultat de l’hybridation des médiums. Depuis sa création il y a 40 ans, Adobe donne aux artistes les outils pour s’exprimer, et traduire pleinement leur créativité.
Fisheye : Peux-tu te présenter ?
Je suis artiste-plasticienne et je développe un travail pluridisciplinaire avec autant de la vidéo que de la peinture, de la photographie ou de la céramique. Je mêle tous ces médiums pour mettre en scène de grandes installations.
Peux-tu nous parler d’où on se trouve aujourd’hui ?
Nous sommes dans mon atelier à Artagon Pantin. C’est un ancien collège reconverti qui accueille aujourd’hui environ 50 artistes et porteur·ses de projet. On y trouve des photographes, des journalistes ou encore des curateurices. C’est un terreau très riche pour la création. Je suis assez touchée par cet endroit parce que c’est mon tout premier atelier. Même à l’école, je ne trouvais pas trop ma place dans les espaces partagés. Ici, j’ai trouvé, comme dirait Virginia Woolf, une « chambre à moi » où je peux développer ma pratique librement.
Nous sommes, en quelque sorte, dans ton intimité alors, dans ta chambre ?
C’est drôle parce que l’idée de chambre a toujours figuré dans ma pratique. Lors d’un échange à Amsterdam, j’ai commencé à faire des photos érotiques et je racontais que c’était une manière pour moi de travailler depuis mon lit ! Et récemment, j’ai reconstitué des chambres en studio… C’est un lieu de l’intime que je trouve inspirant. Un lieu où la pratique artistique est possible.
Et qu’est-ce qui t’a amené à développer ta propre pratique artistique ?
C’est une grande question ! Je ne pense pas que ce soit vraiment un choix. En fait, je crois que c’est plutôt une nécessité. Je me souviens avoir eu mon premier appareil photo quand j’avais treize ans et je m’amusais déjà à me mettre en scène ! En fait, j’ai toujours adoré l’image et la mise en scène.
Peux-tu nous parler de ton rapport au visuel, à l’image ?
Je considère que beaucoup de choses peuvent faire image. J’ai tendance à retravailler mes images comme pourrait le faire un peintre, à partir de rien. Toutes mes images sont des mises en scène, tout est construit. Quand je fais de la peinture notamment, j’imagine des textures que j’ai pu voir en images ou qui m’entourent. Je cherche à jouer entre ce qui est réel et ce qui ne l’est pas.
On ressent vraiment l’influence des années 2000 dans ton travail. Comment penses-tu que cela se traduit ?
Je fais partie de cette génération biberonnée à la pop culture, aux images et aux clips. C’était avant les réseaux sociaux, mais on s’habituait déjà à nous mettre en scène en permanence. Je pense que si mon travail est aussi pluridisciplinaire, c’est pour pouvoir m’emparer de ces questions, et de les présenter sous plein de formes différentes. Je cherche à imaginer des situations, des scénographies d’exposition où je vais pouvoir traduire toutes ces interrogations qui sont si présentes pour notre génération – la représentation du corps, l’intimité, la mise en scène de nos vies.
En quoi la notion de mise en scène est-elle centrale dans ton travail ?
J’ai l’habitude d’emprunter à Agnès Giard l’idée de « dispositif de fiction » pour parler de mon travail. C’est un terme qu’elle utilise pour décrire les love dolls – ces poupées japonaises hyperréalistes avec lesquelles certaines personnes ont des rapports amoureux ou sensuels. C’est l’idée de développer un dispositif qui permet au spectateur d’inventer ses propres fictions. Ainsi, grâce à la mise en scène, je crée des images qui sont comme des portes ouvertes vers d’autres mondes. Ces univers nouveaux nous permettent de vivre des fictions et de chercher dans notre imaginaire la réalisation de certains fantasmes. Pour mon projet Happy Sad, par exemple, exposé à la galerie Laurent Godin, j’ai réalisé deux autoportraits à la manière de ces poupées. Dans celles-ci, il est difficile de savoir si je suis réelle, mais ce n’est que le travail du maquillage. Ainsi, la mise en scène permet de flouter nos certitudes sur la réalité.
Comment intègres-tu les outils numériques comme Adobe Photoshop pour faciliter cette création de mises en scène ?
Ces logiciels me permettent de transformer certains détails et faire basculer l’image pour qu’on ne sache pas si elle est réelle ou non. Je m’amuse à construire des mises en scène invraisemblables, mais parfaitement réelles. Souvent, il suffit de changer quelques éléments de manière numérique pour amplifier ces impressions. À l’inverse, on se rend compte parfois que la réalité qui nous entoure est complètement irréaliste. Photoshop devient un allié dans ma création en m’aidant à brouiller cette frontière entre le réel et le fictif.
Ces outils permettent donc une écriture plus en phase avec nos sociétés modernes ?
Dans la société technologique que l’on connaît aujourd’hui, on est en permanence confrontés aux images à travers des écrans. Notre rapport aux images et aux formes a donc totalement changé. C’est pour ça que je cherche des façons de réinventer notre rapport à l’image. Les logiciels comme Photoshop me permettent d’établir un rapport synthétique entre le spectateur et l’image. Ils nous permettent de donner une forme concrète à des objets de l’imaginaire. Je vois Photoshop un peu comme un outil qui va me permettre de donner une forme numérique à des choses que j’ai dans ma tête, et qui ensuite pourra réapparaître sous une autre forme dans le monde réel.
Peux-tu nous donner un exemple de comment ces outils numériques s’insèrent dans ton œuvre ?
J’ai l’habitude de travailler très lourdement mes images, physiquement et numériquement. Je photographie, je traite avec Photoshop, je modifie, j’imprime, je rephotographie, je crée une sculpture, que je capture à nouveau… Par exemple, à l’occasion de l’exposition collective À fleur de peau, au CAC passerelle à Brest, j’ai réalisé une installation multimédia intitulée Perfection is a lie so play with it. C’est un grand rhizome qui relie des morceaux de corps de femmes les uns avec les autres. Pour cette scénographie, j’ai imaginé un grand mural que j’ai dessiné à la main, que j’ai ensuite scanné. Puis ce dessin a été modélisé en 3D pour finalement que je le recolorise.
© Marilou Poncin