Jusqu’au 26 février 2023, la capitale belge accueille la 7e édition du PhotoBrussels Festival. À cette occasion, Delphine Dumont – fondatrice de l’évènement, mais également directrice du Hangar – nous parle de Mirror of Self, sa nouvelle exposition qui célèbre l’autoportrait, à découvrir quant à elle jusqu’au 25 mars. Entretien.
Fisheye : Mirror of Self fait la part belle à l’autoportrait. Comment l’idée de concevoir cette exposition vous est-elle venue ?
Delphine Dumont : Depuis la création de PhotoBrussels Festival, il y a maintenant sept ans, nous organisons une grande exposition annuelle au Hangar, dont nous faisons nous-mêmes la curation. Nous avions l’idée, au départ, de travailler sur des thèmes assez classiques et d’y revenir quelques années plus tard pour voir leur évolution dans le temps. Le tour du portrait venu, j’ai voulu restreindre le sujet que nous avons finalement élargi – cette thématique est tellement vaste ! Nous nous sommes donc concentré·es sur l’autoportrait. Je pense que c’est lié à cette période du confinement où nous nous sommes recentré·es sur nous-mêmes, sur notre intériorité. C’était intéressant d’observer ce qu’il en était aujourd’hui. Nous avons reçu près de 400 dossiers dans le cadre de l’appel à projets que nous avions lancé en amont, ce qui montre toute la vitalité de la pratique.
Au sein de l’exposition, nous découvrons justement différentes écritures, des compositions dans lesquelles les auteurs s’effacent au profit d’objets, d’histoires qui ne sont pas nécessairement les leurs. Comment définiriez-vous le genre de l’autoportrait ?
Je dirais que les courants ou les façons de s’approprier l’autoportrait sont tellement différents qu’il n’y a pas vraiment de définition. Il y a, d’une part, des artistes qui sont tourné·es vers eux-mêmes et qui, à l’appui de leur vécu, transcendent leur histoire ou leurs souffrances en se photographiant eux-mêmes. L’autoportrait apparaît alors comme une porte de guérison vers quelque chose. D’autre part, il y a celles et ceux qui se mettent en scène et agissent comme des comédien·nes ou des acteurices. Ils créent une narration qui peut également être la leur, celle d’autres personnes ou encore un récit imaginé de toutes pièces. Il existe ces deux facettes : soit l’artiste est tel qu’iel est, nu, au sens propre comme au sens figuré, soit iel endosse un personnage d’une manière ou d’une autre.
© Paola Paredes
Et qu’est-ce qu’un bon autoportrait selon vous ?
Lorsque nous avons fait notre sélection, j’ai remarqué que les sujets regardent rarement l’objectif. En cela, un bon autoportrait est celui qui nous questionne nous-mêmes, au travers duquel on sent une vérité et qui crée une émotion, car il renvoie à quelque chose qui nous a touchés personnellement.
Quelle tendance voyez-vous se dessiner ?
Beaucoup de jeunes talents ont recours à ce genre. Ce fut une grande découverte, je ne pensais pas que cette thématique était aussi vivante. On est souvent à la frontière entre le documentaire, la mise en scène et l’autoportrait, il y a beaucoup de « docu-autoportrait ». C’est une véritable tendance. Beaucoup d’artistes se photographient dans la nature. Ce rapport à l’environnement et à sa protection est également un sujet récurrent, de même que le corps blessé qui a besoin d’être réparé. Il est certain que les historiens et les historiennes du futur verront, à travers l’autoportrait du 21e siècle, les maux et les évolutions de la société, car nous retrouvons tous les enjeux actuels, de l’écologie aux questions sur le genre en passant par la place des femmes. C’est un genre très ancré dans la réalité du monde.
© à g. Annegret Soltau, courtesy Galerie Anita Beckers, à d. Auriane Kolodziej
Comment avez-vous choisi les 23 photographes actuellement exposé·es ?
Au Hangar, nous privilégions les séries récentes, nous essayons d’exposer des travaux qui n’ont pas souvent été montrés. Nous aimons faire des découvertes et faire découvrir de nouveaux talents au public. C’est une sélection collective, aussi, il est important que tout le monde au sein de l’équipe soit séduit par les œuvres proposées. Nous voulions par ailleurs mettre en avant la diversité : il n’y a aucun critère de genre ou de nationalité. Le projet prime sur le reste. Cette année, une quinzaine de pays différents est représentée, ce qui témoigne de l’universalité du thème.
Vous évoquez, dans le texte de l’exposition, la « création d’une introspection ». En parallèle, l’autoportrait se présente pourtant comme une manière de façonner son image, de donner à voir son « moi » tel qu’on le souhaite et non tel qu’il est véritablement. Que pensez-vous de cette dualité ?
Il est vrai qu’il faut prendre en compte la pudeur de l’artiste, et c’est ce qui est touchant dans tous ces travaux. Ce n’est pas évident de s’exhiber. Le·a photographe ne peut pas se cacher derrière son œuvre puisqu’iel en fait partie. On le reconnaît tout de suite physiquement. Quand iel parle de lui·elle-même, iel utilise – si je puis dire – l’écran de l’objectif ou d’une mise en scène. Une grande subtilité transparaît alors : iels montrent beaucoup d’elleux-mêmes, mais il reste beaucoup de non-dits malgré tout.
© Dawn Woolley
Y a-t-il une série dont vous voudriez nous parler davantage ou bien une anecdote que vous aimeriez partager ?
J’avais déjà repéré quelques artistes de notre sélection. J’ai l’impression de les connaître, car je suis leur travail depuis longtemps, mais il y a aussi la surprise de la nouveauté. Nous avons collaboré avec certain·es photographes par correspondance, et j’aime à présent les voir découvrir leurs murs. J’ai été touchée par C. Rose Smith, notamment, qui nous arrive de Boston et qui a répondu à l’appel à projets. Nous ne l’aurions peut-être pas rencontrée de nous-mêmes, mais elle est venue à nous et son dossier a été sélectionné. Quand je l’ai accompagnée devant ses œuvres qu’elle n’avait encore jamais vues sur les cimaises – ses tirages ont d’ailleurs été imprimés à Bruxelles car, au Hangar, nous défendons nos fournisseurs locaux –, elle était au bord des larmes. L’acte de découverte de talents et l’émotion qu’il génère sont magnifiques.
© à d. Sanja Marušić, à g. Gabriel Dia
© Omar Victor Diop, courtesy Galerie MAGNIN A
© à g. Laura Hospes, courtesy LANGart, à d. Tarrah Krajnak, courtesy Galerie Thomas Zander
Image d’ouverture © Paola Paredes