Partir à la recherche du monde des origines. Tel a été le dessein de Nyima Marin, photographe français né en Crète. Sur l’île de sa naissance, il se laisse tomber jusqu’au fond des âges et compose L’Adieu du Minotaure. Un ouvrage intime et universel, alliant images primaires et poèmes.
Une grotte, ou plutôt une cavité mystérieuse bleutée pareil à un vagin. On pénètre dans l’ouvrage de Nyima Marin comme un enfant arrive dans le monde réel. Un hommage à sa mère en guise d’introduction. C’est elle qui le fit « accoster sur cette île de lumière, [son] labyrinthe englouti ». Aller simple pour la Crète, petite île grecque où, il y a plus de 35 ans, se sont aimés une femme française et un homme italien. « Ma mère était en congé, mon père, sur le retour d’un long voyage. Je suis le fruit d’un amour de vacances », confie l’artiste qui a vécu sa première année sur l’île mythique. Cette même île, qui aurait vu débarquer la belle Europe – déposée par son amant Zeus transformé en taureau – et qui a abrité le plus légendaire des labyrinthes au sein duquel se cachait le Minotaure.
Pour Nyima Marin, tout a vraiment commencé lors d’une discussion avec son grand-père, un homme féru d’histoire. Ce dernier lui conte une des plus vieilles éruptions survenues dans l’humanité. Entre 1500 et 1600 avant J.-C., le volcan de Santorin a été pulvérisé ou s’est effondré sur lui-même. S’en est suivi un brutal choc thermique, engendrant un gigantesque tsunami. « Des vagues de plus de 50 mètres de haut ont tout emporté sur les côtes crétoises, situées en face de l’île grecque, complète le photographe. Cela aurait entraîné la chute de la civilisation minoenne. Au début du 20e, des archéologues voient dans cet événement les origines du mythe de l’Atlantide décrit par Platon. J’ai imaginé un rapprochement poétique entre la fin d’une civilisation et ma naissance à moi ». Au cours de ses recherches, lectures, et de ses trois voyages sur les terres sacrées – Nyima Marin n’est pas le seul à être né en Crète, Zeus aussi – l’artiste précise sa quête. Il ne s’agit plus de trouver l’Atlantide, mais de questionner plus largement la finitude de l’être humain, en convoquant la mémoire collective et la mémoire individuelle. Et son fil rouge n’est autre que le mythe du Minotaure. « J’ai adopté une vision mélancolique assez proche de celles développées par Albert Camus, Marguerite Yourcenar, André Gide ou encore Jorge Luis Borgès », précise le photographe passionné de littérature.
« Tout est bleu
comme l’indifférence d’un ciel
d’où tombe la beauté »
Le ciel, la mer et les pierres
Quelles sont nos origines ? Quel est ce monde dans lequel nous sommes coincés ? Quelle est notre mission sur terre ? Les interrogations fusent en temps de pandémie et/ou à chaque passage de dizaine. « J’avais besoin de retrouver des repères dans un monde un peu déréglé, de resituer mon corps par rapport à tout cela. Je me suis posé un certain nombre de questions métaphysiques », explique celui qui a lancé le projet en début de crise de la trentaine, il y a plus de cinq ans. L’objet du livre-poème n’est pas de savoir comment sortir du labyrinthe de nos pensées – la vie serait bien ennuyeuse autrement–, mais de retrouver ce paradis perdu de l’enfance. Et dans cette quête, l’homme doit faire face à ses propres contradictions, à ses pires démons. « Pour comprendre le monde, il faut parfois se détourner ; pour mieux servir les hommes, les tenir un moment à distance. Mais où trouver la solitude nécessaire à la force, la longue respiration où l’esprit se rassemble et le courage se mesure ? » s’interroge Albert Camus dans Le Minotaure ou la halte d’Oran. En contemplant les morceaux de corps, et les détails – tantôt minéraux, tantôt végétaux – capturés par Nyima Marin, on se prend à relativiser la cruauté et la bêtise humaine, et on se délecte de cet espace où toute hiérarchie est abolie. Car au sommet d’un mont pelé crétois, il ne reste que le ciel, la mer et les pierres. Et finalement, cela suffit amplement.
« Les dieux aussi s’en iront un jour
loin de ces paradis perdus
loin de cette île où tout a commencé
il suffira alors de fermer les yeux
de l’autre côté de la rive
et d’entendre retentir
dans l’immensité d’un ciel minéral
le murmure des pierres solitaires
vibrant au rythme de souvenirs engloutis
de souvenirs d’une lumière où je suis né
et où j’ai disparu. »
L’Adieu du Minotaure, autoedition, 112 p., 38 €.
© Nyima Marin