Guidé par la croyance bouddhiste, Clay Maxwell Jordan photographie le temps qui passe et la décomposition avec beaucoup de grâce. Dans sa monographie intitulée Nothing’s Coming Soon, le photographe américain nous emporte au sud des États-Unis auprès de sujets isolés. Une belle réflexion sur la condition humaine.
Une murale décrépie, un squelette suspendu à un fil à linge, et un chien, heureux, en plein saut. Dans son ouvrage Nothing’s Coming Soon, Clay Maxwell Jordan photographie aussi des hommes et des femmes qu’il croise au cours de ses promenades. « Celle qui porte une robe bleue avait perdu son mari dans le centre commercial, elle l’attendait à l’entrée. Quant à cet homme cul-de-jatte, il utilisait une prise à l’extérieur d’un restaurant pour recharger son téléphone portable. J’aime son tatouage “Qui est l’idiot maintenant ?”. Et concernant ce couple grimaçant, je dois préciser que le chien tenu par la femme est une peluche », commente le l’artiste américain. De façon aléatoire et intuitive, il photographie des individus et des objets isolés dans l’état de Géorgie, aux États-Unis. Prolifique, il se remet au hasard, et shoote, inlassablement. C’est d’ailleurs grâce au hasard qu’il se prend de passion pour le 8e art. « Au milieu des années 2000, je fréquentais une femme qui travaillait dans une librairie. Un jour, en attendant qu’elle débauche, je me suis perdu dans le rayon photographie. Cela a déclenché une fascination et un amour pour les livres photos. Et puis, j’ai finalement sauté le pas : collectionner les ouvrages ne me suffisait plus, j’ai commencé à réaliser mes propres images. Aujourd’hui, je ne pourrai pas expliquer pourquoi je pratique… Tout ce qui attire mon attention mérite d’être documenté. Une fois que j’ai accumulé assez d’images, je les édite et les séquences délibérément pour souligner certains thèmes et préoccupations. Peut-être le 8e art est-il un exutoire expliquant mes penchants voyeuristes ? ».
Contrecarrer le matérialisme sordide
C’est aussi grâce au hasard qu’un jour d’hiver, il y a quelques années, Clay Maxwell Jordan s’est arrêté sur la route qui le menait à Athens, en Géorgie, pour photographier une vieille maison. La Foster-Thomason-Miller. Construite en 1883, la demeure avait été inspirée par une conférence intitulée « The House beautiful », donnée par Oscar Wilde en 1882. Dans cette prise de parole, ce dernier expliquait comment construire une maison à l’esthétique séduisante. « Quel fantôme de Wilde a réveillé Jordan lorsqu’il s’est arrêté pour photographier la belle maison décrépie ? » s’interroge Alexander Nemerov dans l’essai venant accompagner les vagabondages du photographe. « Je ne connaissais rien de l’origine de cette maison avant de parcourir ses mots », confie l’artiste qui a pourtant lu plusieurs des œuvres du romancier, dramaturge, et poète irlandais. « J’adore l’idée qu’on se fait de Wilde : un esthète désinvolte et intellectuel, lanceur d’aphorismes, remettant en question plusieurs statu quo. J’aimerais qu’il y ait plus de Wilde de nos jours…»
Aux côtés de Clay Maxwell Jordan, Alexander Nemerov, et Oscar Wilde, on s’assure d’une chose : l’expérience de l’art peut éveiller chez le·a regardeur·se de nouvelles possibilités, de nouvelles manières d’être, et de nouveaux modes de perception. À leur manière, tous trois s’accordent à dire que « l’artiste et l’amour du beau sont nécessaires pour tempérer et contrecarrer le matérialisme sordide de l’époque ». Inspiré par le concept bouddhiste selon lequel la vie n’est que souffrance, le photographe nous plonge dans le moment présent, face aux imperfections de la vie, aux choses vieillissantes, et nous invite à les accepter et les aimer comme telles. « Il a su voir des beautés dans toutes les destructions de la beauté. Il est devenu un connaisseur de poussières d’étoiles brisées », précise Alexander Nemerov dans son texte. Si Clay Maxwell Jordan peine à définir la beauté, il est certain de plusieurs évidences : « la rencontre avec la beauté accélère le pouls, réaligne les sens, et renvoie aux merveilleuses et étonnantes prouesses de l’imagination. La beauté est un répit dans ce monde régi par les publicités. Il suffit de parcourir une grande artère de n’importe quelle ville américaine pour réaliser que la beauté n’existe pas, et qu’il vaut la peine d’en créer d’autres ». Son ouvrage à la couverture rose pâle n’est pas un conte de fées, mais plutôt un récit de vie où la finitude des éléments et des êtres devient un sublime fil rouge. Son ouvrage Nothing’s Coming Soon illustre ainsi la célèbre citation d’Oscar Wilde : « La beauté est dans les yeux de celui qui la regarde ».
Nothing’s Coming Soon, Fall Line, 94 p, $65.00
© Clay Maxwell Jordan