Patrick Chauvel : « Notre métier, c’est l’art de l’effacement »

Patrick Chauvel : « Notre métier, c’est l’art de l’effacement »

Constitué de 380 000 images et de plus de 1 000 heures de vidéos, le fonds Patrick Chauvel intègre les archives du Mémorial de Caen. Pour l’occasion, une exposition permanente, libre et gratuite, présente des temps forts de la carrière de ce reporter de guerre.

« En plus de 30 ans d’existence du mémorial, Patrick Chauvel est la première personne à se retrouver en résidence permanente », déclare Stéphane Grimaldi, le directeur général du Mémorial de Caen. « Son arrivée est une sorte de conclusion à ce qui a été entrepris dans cette maison. Cela lui donne toute la légitimité qu’elle méritait ». Au fil des années s’est crée, entre les deux hommes, une connivence sans équivoque. Après plusieurs voyages ensemble et un flot de conversations, une véritable confiance s’installe. L’aboutissant de cette relation ? L’arrivée du monumental fonds Patrick Chauvel au sein du musée. Une suite logique dans l’histoire des guerres mondiales : « Grâce à Patrick on étend l’offre des archives. Notre maison vit une grande mutation », atteste Stéphane Grimaldi. 

Le 28 juin 1914, à Sarajevo, l’archiduc François-Ferdinand est assassiné. Le 9 novembre 1989, en Allemagne, le Mur de Berlin est démoli. Entre ces deux dates, 60 à 70 millions de morts. Le monde se retrouve meurtri. Mais la paix s’instaure-t-elle après ces deux guerres mondiales ? À l’instant où vous lisez ces lignes, une cinquantaine de conflits se déroulent dans le monde entier. Parlons des plus de 500 000 victimes de la guerre civile syrienne ou encore des plus de 300 000 morts de celle du Darfour au Soudan. Les guerres ne cessent de pulluler. Patrick Chauvel les parcourt depuis plus de 50 ans. Armé de son boîtier, le reporter photographie et filme les soldats, les civils et les villes minées. Trente affrontements ont été couverts par le journaliste depuis ses débuts. Une vie de dévotion et de danger au service de la mémoire des conflits contemporains.

© Patrick Chauvel

Le journalisme à toute épreuve

Patrick Chauvel heurte nos mémoires. Né d’un père soldat et journaliste, il désire suivre ses traces. « Je veux partir comme vous » annonçait le jeune homme, à l’âge de 18 ans. En 1967, le reporter en herbe couvre la guerre de Six Jours, en Israël. À son retour, il constate que la majorité de ses images sont inutilisables. Mais, cela ne le décourage pas. Bien au contraire, Patrick Chauvel confirme son intérêt pour le journalisme. Blessé à plusieurs reprises, par un obus de mortier vers Phom Penh, ou encore par balle par les Gardiens de la Révolution de Rouhollah Khomeini à Tabriz, il ne cesse de se rendre sur le terrain. « Il y a moins de conflits dans le monde, mais ils sont plus graves, plus déstabilisants pour l’équilibre, confie le journaliste. Avec nos images, on est la mémoire. Je conte des histoires pour ne pas oublier. ».

Outre les photographies, ce grand reporter a produit quatre livres, et plus d’une vingtaine de films sur le conflit israélo-palestinien, les traumatismes des enfants tchétchènes ou encore le désarroi des artistes irakiens. « Notre métier c’est de permettre à des étudiants, historiens, journalistes et curieux de prendre connaissance d’une certaine réalité des guerres. Les gens pensent qu’elles sont loin, mais elles ne le sont pas tellement », explique le photo-reporter. Dans l’exposition, une sélection de 106 clichés est présentée. « C’était très compliqué, confie Patrick Chauvel. On a été obligé d’abandonner certaines luttes, il y en a plein qui ne sont pas là, évidemment il fallait faire un choix ». 

© Patrick Chauvel

Une vie pour les guerres

Parmi les photos, le regard du spectateur sera notamment attiré par un chat courant devant un char. La légende annonce : « Un char de l’armée libanaise chrétienne tire sur les milices musulmanes dans le centre-ville. Un chat de religion indéterminée fuit les combats. ». Dans un contexte négatif et effrayant, le documentariste garde toujours un certain humour et un brin de légèreté. Mais il n’hésite pas à blâmer, de la plus belle des manières, certaines formes du journalisme actuel : « Certains journalistes feraient mieux d’arrêter de parler d’eux. Notre métier, c’est l’art de l’effacement ».

À 71 ans, Patrick Chauvel souhaite poursuivre son incroyable travail de mémoire : « 50 ans plus tard, la guerre est toujours là. J’ai demandé à retourner en Ukraine et je regarde de près la possibilité d’aller à Idleb, en Syrie. Pour témoigner de ce qu’il se passe pour les civils ». Un travail d’une envergure impressionnante, à découvrir de toute urgence.

 

Exposition du fonds Patrick Chauvel

 À partir du 1er mars 2020

Mémorial de Caen, esplanade Général Eisenhower, 14050 Caen

© Patrick Chauvel

© Patrick Chauvel© Patrick Chauvel

© Patrick Chauvel

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© Patrick Chauvel

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