Dans un désert sec, l’élément le plus précieux et donc le plus demandé est l’eau. Si vous pouvez vous payer de l’eau alors vous pourrez vous payer une pelouse. Gaspiller cette ressource vitale est un signe de pouvoir. James Bannister, jeune photographe anglais, s’est intéressé au fake Las Vegas de façon détournée. Pour Fisheye, il revient sur What Makes Grass Grow in the desert, une série métaphorique et humaniste.
Quand et comment es-tu devenu photographe ?
Je n’ai jamais eu envie d’être photographe. Je le suis devenu par le biais du dessin. À l’université, j’ai eu le choix entre deux options. Travailler à l’intérieur, dans un bureau de conception graphique ou être dehors, un boîtier à la main. J’ai choisi la seconde option.
Comment définirais-tu ton approche photographique ? Et pour cette série ?
Je préfère travailler sur des projets au long court qui permettent un temps de réflexion. Je pense qu’en tant qu’artistes, nous devons aider les gens à « digérer » le concept de l’expérience humaine. Je travaille avec la matière du monde, mais dans un objectif documentaire. Mais attention, documenter tout et n’importe quoi ne m’intéresse pas. Je préfère utiliser cette matière comme point de départ pour mener une exploration poétique ou métaphorique de l’expérience humaine. Il y a des aspects écologiques dans cette série mais seulement au sens littéral.
Peux-tu nous présenter ta série What Makes Grass Grow in the desert ?
What Makes Grass Grow in the desert
, (ndlr, « Ce qui fait pousser l’herbe dans le désert », en français) est une série qui n’est pas encore terminée. Je veux montrer qu’à Las Vegas, le succès et le glamour ne sont qu’une façade. Nous avalons le mensonge facile, pas la vérité difficile. Ce travail fait suite à mon précédent projet, The Road Not Taken (ndlr, « La route non prise », en français) à propos de l’évasion et l’errance choisi par certains d’entre nous. J’ai photographié des ermites et autres individus ayant boudé la société. Que voulons-nous dire réellement quand on veut « s’éloigner de tout » ? Je voulais documenter les causes d’une telle décision. J’ai commencé l’enquête à Las Vegas. J’ai été intrigué par le fait que nous ayons créé un lieu sur terre qui prospère et qui ne suit aucune des règles « normales » de la société. Plongez au cœur de votre plus profond tabou et on vous dira que c’est bien… J’utilise un boîtier grand format. Il est volumineux et encombrant et j’assume ce choix. J’aime utiliser cette ancienne technologie dans ce milieu.
Que veux-tu montrer à travers ces images ?
What Makes Grass Grow in the Desert
(ndlr, « Ce qui fait pousser l’herbe dans le désert », en français) est une remise en cause du statu quo. Je me suis intéressé au règne du faux qui existe à Las Vegas. Il s’agit de questionner la surface des choses et de chercher les raisons qui nous poussent à agir tel que nous le faisons. L’herbe est ici un symbole de richesse et je l’utilise ici pour faire des parallèles entre la vie menée dans le désert et celle menée à Las Vegas. Cette série se lit comme un miroir qui nous aide à réfléchir sur nos propres décisions, à trancher entre ce qu’on veut nous faire voir et la réalité. J’explore notre conscience collective. Qu’on l’admette ou non, à l’intérieur, nous sommes tous les mêmes. Globalement, nous avons tous les mêmes désirs et espoirs. Je n’essaie pas de montrer cela en particulier, mais de créer le débat. Peut-être que ce projet pourrait améliorer l’expérience humaine, peut-être que non.
Quelles sont tes sources d’inspirations ?
Je m’inspire de tout, de mes conversations comme des moments banals de mon quotidien. J’adorais Dada et le surréalisme. Aujourd’hui, je parviens de plus en plus à apprécier la beauté dans mon quotidien. Le monde est déjà tellement fantastique, pourquoi aurions-nous besoin de fiction ?
Comment as-tu choisi ces lieux ?
Quand je suis à la recherche d’endroits à photographier, j’essaye de trouver mon image dans mon environnement. Le plus souvent, mes photos résultent d’un processus intuitif et méditatif qui survient après m’être déconnecté.
Qui sont tes modèles?
J’approche les modèles de la même manière que j’approche des paysages ou des images de nature morte. Je ne cherche rien de spécifique, mais je sais que c’est la bonne personne quand je la rencontre. Nous sommes des étrangers. J’explique le projet et je leur demande s’ils peuvent poser pour moi. C’est un échange collaboratif et particulier. Je suis caché derrière mon appareil photo, je peux longuement les observer mais eux, ils ne me voient pas tel que je suis. Ce moment est tellement beau que c’est comme si je regardais une peinture. Évidemment, durant ces instants, il y a une lutte de pouvoir et un peu de voyeurisme. Dans l’ensemble, les personnes que j’ai rencontrées ont vraiment été coopératives et je leur en suis reconnaissant.
Peux-tu résumer cette série en trois mots ?
Une enquête sur le faux.
© James Bannister