On le croyait obsolète, désuet, réservé aux nostalgiques… il n’en est rien ! Le retour de l’argentique, le goût pour les procédés anciens, le désir d’expressivité, le renouvellement d’un certain classicisme, ou son inscription dans des démarches contemporaines constituent autant de voies que les photographes défrichent pour réinventer le noir et blanc. D’une manière un peu arbitraire, nous avons défini quatre grandes familles pour explorer ce renouveau du monochrome : classique, rétro, expressionniste et arty. Bien sûr, de nombreux photographes résistent à cette classification approximative, et plusieurs pourraient glisser facilement d’une catégorie à l’autre. Ces quatre tendances ne sont au final qu’un prétexte pour revisiter les territoires toujours féconds des pratiques du noir et blanc. Focus sur la première famille de cette nouvelle vague : Rétro.
Nous l’avons appelé la famille rétro par commodité, mais loin de toute nostalgie, certains photographes réunis ici préfèrent évoquer « un dialogue vers le passé avec les yeux du présent », comme le précise le photographe espagnol Israel Ariño. D’autres, comme le Tchèque Martin Becka, parlent de « poser un regard archéologique sur une réalité vue comme les vestiges d’un passé qu’on regarderait d’un futur lointain ».
La maîtrise de la chaîne de production des images passe alors par une étape importante en laboratoire, certains poussant jusqu’à fabriquer eux-mêmes leurs papiers, que ce soit pour le tirage, comme la Belge Sabrina Biancuzzi, ou pour les négatifs papier que Martin Becka confectionne avec soin. Ce dernier est d’ailleurs devenu un expert dans les procédés anciens qu’il enseigne aujourd’hui aux futurs restaurateurs à l’Institut national du patrimoine (INP). L’enseignement est aussi une des caractéristiques de cette famille pour qui la transmission des savoirs est une étape décisive. L’alchimie nécessaire à cette magie des images, à leur matérialité qui transforme les épreuves en expérience sensorielle, fait partie de l’apprentissage.
© Sabrina Biancuzzi
Les références des photographes évoqués sont assez variées. On retrouve évidemment les grands maîtres du XIXe siècle, comme Gustave Le Gray, et les artistes artisans des années 1960, comme Denis Brihat et Jean-Pierre Sudre – « Il y a dans ces images un mystère, une matière très séduisante, ça m’intéressait de comprendre comment ces gens-là ont travaillé », explique Martin Becka. D’autres, comme le Français Arno Brignon, convoquent des auteurs plus modernes comme Michael Ackerman, Josef Koudelka, Robert Frank ou Anders Petersen.
© à g. Arno Brignon, et à d. Bruno Fontana
Bruno Fontana, lui, explique que son ambition est de « faire voir la réalité comme si nous la découvrions pour la première fois », en citant Brassaï : « Le réel rendu fantastique par la vision. » Le désir d’aller à l’essentiel, le goût de la lenteur, l’acceptation de l’accident et d’une part d’aléatoire, le plaisir de laisser « advenir une image » participent à cette relation poétique au monde, que chacun construit à sa manière. « Laisser glisser la maîtrise technique pour attraper un décalage », analyse Martin Becka ; « aller au-delà de l’image », poursuit Sabrina Biancuzzi ; « Porter un regard plus rêveur sur le monde », conclut Israel Ariño.
© Ismael Ariño
Image d’ouverture © Martin Becka