« On peut trouver la solitude dans un endroit bruyant. Il suffit de prendre un peu de recul »

27 janvier 2021   •  
Écrit par Finley Cutts
« On peut trouver la solitude dans un endroit bruyant. Il suffit de prendre un peu de recul »

Après avoir sorti Midnight Manor, deuxième album avec son groupe The Nude Party, le photographe-musicien Alec Castillo revient sur les instants intimes qu’il capture au milieu du brouhaha rock’n’roll et déjanté. La fièvre d’une jeunesse libre et éternelle exalte ses images, évoquant une légèreté attendrissante. Le photographe nous invite sur les routes américaines, à crier nos passions, au rythme électrique de sa musique. Entretien.

Fisheye : Tu nous racontes tes premiers pas dans la photographie ?

Alec Castillo : J’ai commencé la photo jeune, à la suite d’un accident en skateboard. Une opération chirurgicale importante m’a amené à prendre un appareil photo comme un nouvel exutoire créatif. Mes premières photos étaient nulles, je faisais de la “merde” et ne trouvais pas ma place dans le milieu de l’art. Mais j’ai très vite su que ce que j’aimais, c’est documenter mes amis.

La photographie est devenue une partie de mon identité et m’a indiqué une direction. Plus tard, j’ai fini par aller à l’université pour poursuivre des études artistiques et c’est à ce moment-là que j’ai commencé à prendre les choses plus au sérieux, et à définir mon style.

Qu’est-ce qui est venu en premier pour toi, la photographie ou la musique ?

La photographie est arrivée en premier, mais j’ai toujours aimé la musique. Je n’ai commencé à pratiquer qu’à l’université, avec mes meilleurs amis. On s’était dit, à moitié en rigolant, qu’on devait monter un groupe. On a ensuite passé tout un été ensemble à apprendre à jouer nos nouveaux instruments – et à énerver mon voisin par notre manque de rythme et notre amateurisme partagé !

On est tombés amoureux de la musique. Cela a comblé un certain vide. Un an plus tard, lorsque nous avons commencé à donner nos premiers concerts et à improviser des tournées, j’ai développé un projet photographique personnel et intime.

La photographie répond-elle a un besoin que la musique ne satisfait pas ?

Absolument. Je crois fermement que mélanger les mediums est nécessaire pour créer les meilleures œuvres. C’est pour cela que j’ai voulu m’aventurer dans la musique. Mais je crois aussi qu’il est important d’avoir un exutoire créatif, et la photographie m’a permis de faire les deux en même temps.

Il y a certainement des moments où je me demande comment ma vie aurait pu se dérouler si j’avais consacré tout mon temps et toute mon énergie à l’un ou l’autre. Mais au final, je réalise toujours que j’ai besoin des deux pour rester sain d’esprit. Je veux poursuivre ainsi jusqu’à ce que le carburant soit totalement consommé.

© Alec Castillo

La plupart de ton travail est réalisé lors des tournées avec ton groupe The Nude Party. Cela te donne-t-il un cadre pour créer ?

Jusqu’à l’arrivée de la Covid-19, j’étais sur la route 80% de l’année. Les courtes périodes où je regagnais ma maison, je me remettais de la tournée, et j’essayais de trouver des contrats commerciaux ou des petits boulots pour financer mes passions et mon toit. Je n’ai jamais vraiment eu le temps de me concentrer sur un nouveau projet à long terme. Maintenant que les tournées se sont arrêtées, je remets encore en question la finalité et l’évolution de mon travail…

Les membres de ton groupe te laissent-ils libre de capturer ces moments partagés ?

Ce sont aussi mes meilleurs amis et ce, depuis toujours. Ils n’ont jamais entravé mon travail. Ils ont accepté la présence de mon appareil photo. Ils sont généralement super heureux de voir les images une fois la tournée terminée. Ils ont toujours soutenu mon travail.

Penses-tu que ton travail est une adaptation moderne du classique road-trip américain, un sujet privilégié en photographie ?

Oui, ce projet, en particulier, affiche mon point de vue sur le road trip américain, mais pas nécessairement limité au style documentaire traditionnel. J’espère que les gens pourront s’identifier au thème central de ce projet, et de la plupart de mon travail, à savoir les liens humains et l’intimité. Je cherche à produire un travail intemporel, tout en restant connecté à ma vie personnelle. Je pense que mon approche a mûri au fil du temps : je me suis éloigné d’un style strictement documentaire, et j’ai choisi de donner à voir des moments intimes, et l’ambiguïté des sentiments.

© Alec Castillo

Des artistes qui t’inspirent ?

Au début de mon adolescence, j’étais en quelque sorte obsédé par un monde artistique auquel je n’appartenais pas. Je vivais indirectement à travers les premières photographies de Ryan McGinley et de ses amis Dash Snow et Sandy Kim. Comme beaucoup d’autres qui montrent les cultures marginales, j’ai grandi en regardant les films de Larry Clark et d’Harmony Korine. Il ne fait aucun doute que leur travail a influencé mes débuts, mais plus tard, j’ai trouvé ma propre identité. À l’université, j’ai eu un mentor, Mike Belleme, que j’admire et respecte beaucoup. C’est l’un de mes photographes et individus préférés. Je me réfère toujours à son travail lorsque je réfléchis à ma pratique. J’essaie de ne pas tomber dans une quelconque tendance, dans ce qui est à la mode. Je veux vraiment penser au travail que je produis et non seulement produire du contenu.

Puis il y a certains livres que je regarde toujours avant de partir en tournée : Festivals Are Good de Cheryl Dunn, A Period of Juvenile Prosperity de Mike Brodie et le projet « Kids of Hate and Love » de Mike Belleme, entre autres.

Dans tes images, un certain esprit rock’n’roll transpire, mais les moments sensibles ont leur place. Comment saisis-tu ces deux atmosphères ?

J’essaie de ne pas être intrusif quand je prends des photos. Je suis très sélectif sur les moments où je sors mon appareil photo. Je ne mets jamais en scène des images et je ne demande à personne de recréer une scène. Je pense que c’est important pour moi de créer de véritables moments. Il y a aussi beaucoup d’images que je n’ai jamais choisi de montrer.

Comment trouves-tu ces moments de calme dans le rythme effréné de tes tournées ?

On peut trouver la solitude dans un endroit bruyant. Il suffit de prendre un peu de recul.

© Alec Castillo

En documentant ces moments, dois-tu t’en exclure ?

Oui, je choisis de m’exclure. Je n’ai jamais partagé un autoportrait réalisé en tournée. J’espère que ce n’est pas ringard, mais je veux exister à travers mes photos. Je veux qu’on reconnaisse mes images sans que je sois dans le cadre.

Quel est ton rôle quand tu documentes la vie de tes proches ?

Mon rôle est d’immortaliser les moments d’amour, de bonheur, de tristesse, d’aventure, de recherche de soi, d’intimité et de connexion humaine. Un jour, je pourrais m’en souvenir et partager ces instants avec des amis, des étrangers, et peut-être qu’ils pourront se reconnaître, et partager ces sentiments.

Une chanson pour résumer ton travail ?

Stay A Little Longer 

de Brothers Osborne

Stay all night, stay a little longer,
Dance all night, dance a little longer,
Pull off your coat, throw it in the corner,
Don’t see why you can’t stay a little longer.

© Alec Castillo

© Alec Castillo© Alec Castillo

© Alec Castillo

© Alec Castillo© Alec Castillo

© Alec Castillo© Alec Castillo© Alec Castillo© Alec Castillo© Alec Castillo© Alec Castillo

© Alec Castillo

Explorez
Les coups de cœur #529 : Diane Velex et Sára Kölcsey
© Diane Velex
Les coups de cœur #529 : Diane Velex et Sára Kölcsey
Diane Velex et Sára Kölcsey, nos coups de cœur de la semaine, expriment leurs émotions à travers l’objectif. La première dévoile ses...
27 janvier 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Balázs Turós et le quotidien de sa grand-mère atteinte de démence
© Balázs Turós
Balázs Turós et le quotidien de sa grand-mère atteinte de démence
Confronté à la maladie de sa grand-mère et à ses propres questionnements existentiels, le photographe hongrois Balázs Turós sonde l’âme...
21 janvier 2025   •  
Écrit par Agathe Kalfas
La sélection Instagram #490 : jardin secret
© Talya Brott / Instagram
La sélection Instagram #490 : jardin secret
Les artistes de notre sélection Instagram de la semaine confectionnent un nid douillet. Sur leurs images se dévoilent un cocon familial...
21 janvier 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Marion Brun : faire résonner l’écho de la nuit et de la couleur
© Marion Brun
Marion Brun : faire résonner l’écho de la nuit et de la couleur
Photographe grenobloise installée à Arles, Marion Brun explore dans sa série echos, la complémentarité des couleurs et des textures, le...
17 janvier 2025   •  
Écrit par Hugo Mangin
Nos derniers articles
Voir tous les articles
L’œuvre de Dennis Morris, photographe de Bob Marley et des Sex Pistols, se dévoile à la MEP
Sid Vicious, Stockholm, Suède, 25 juillet 1977 © Dennis Morris
L’œuvre de Dennis Morris, photographe de Bob Marley et des Sex Pistols, se dévoile à la MEP
Jusqu’au 18 mai 2025, la MEP accueille Music + Life, la première rétrospective consacrée à Dennis Morris en France. Comme son nom...
08 février 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Metamorphosis de Hessam Yekta : le drap des lieux
© Hessam Yekta
Metamorphosis de Hessam Yekta : le drap des lieux
À la croisée de la photographie de mode et de l’abstrait, Hessam Yekta signe, avec la série Metamorphosis, une exploration de la...
07 février 2025   •  
Écrit par Hugo Mangin
CHROMOTHERAPIA : la photographie couleur à la villa Médicis
© Martin Parr
CHROMOTHERAPIA : la photographie couleur à la villa Médicis
Avec CHROMOTHERAPIA. La photographie couleur qui vous fait du bien, la villa Médicis retrace l’histoire de ce médium, longtemps relégué à...
06 février 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Theo Wenner : True detectives
Le sergent Brennan montre un impact de balle qui pourrait suggérer que le tireur a poursuivi la victime dans l'escalier avant de la tuer © Theo Wenner
Theo Wenner : True detectives
Theo Wenner est le premier photographe à avoir pu s’immiscer dans le quotidien de la division homicide du New York City Police...
06 février 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet