Panorama 20, le rendez-vous annuel de la création au Fresnoy, ouvre ses portes jusqu’au 30 décembre. Une mine d’or de l’art contemporain, dans laquelle cohabitent films, constructions mécaniques, réalité virtuelle et expériences scientifiques.
Au Fresnoy, ce sont Alain Fleischer, directeur de l’établissement, et José-Manuel Gonçalvès, directeur artistique de l’exposition et responsable du Centquatre qui nous accueillent. Ensemble, ils reviennent sur cette « grande vitrine de ce qui se fait au Fresnoy pendant une année ». José-Manuel Gonçalvès qualifie cette édition comme étant « éloquente ». « Un exemple parfait de l’évolution de l’art contemporain, qui se tourne de plus en plus vers l’art numérique », précise-t-il.
La visite démarre ensuite. Le directeur artistique nous accompagne jusqu’au point de départ du parcours. On longe la salle principale, apercevant sur notre gauche des installations, çà et là. La marche évoque un long plan-séquence, attisant notre curiosité. On s’arrête, perchés sur une estrade située au milieu de la salle principale. Surélevés, on peut déjà découvrir quelques installations, et en deviner d’autres. « Il s’agit d’une première impulsion », explique José-Manuel. « Tout le public se rend à un même point de vue ». Mais il a ensuite le choix : descendre et s’enfoncer dans l’exposition, ou se retourner et entrer dans la salle de projection, dédiée aux films des élèves. Nous choisissons la première option.
Un art contemporain délirant
José-Manuel présente les œuvres des élèves du Fresnoy comme des « rituels et utopies futuristes qu’ils interrogent à leur manière ». Si la photographie est finalement peu présente au sein des œuvres, l’image animée occupe, elle, une place importante dans le cru 2018 du Fresnoy. Parmi les installations, on découvre notamment un jeu vidéo de Damien Jibert, Plague. L’artiste propose cette création sur l’écran d’une vieille télé, dans un salon reconstitué – celui du héros du jeu. Le petit personnage pixellisé est un nihiliste averti, ne croyant en rien, pas même en la fin du monde. La particularité de Plague ? Il se déroule en temps réel. Si vous souhaitez honorer un rendez-vous pris avec un personnage du jeu au milieu de la nuit, il vous faudra mettre votre réveil et vous connecter ! Un concept unique que Damien souhaiterait prolonger, avec une application pour smartphone.
Plus loin, on découvre Cénotaphes, l’œuvre de Thomas Garnier, une installation aussi effrayante que fascinante. Dans une cage en verre, des bâtiments de béton sont construits et détruits par un robot. Ce dernier récupère les pièces pour ériger et effacer en continu le paysage urbain. Sous la cage, on remarque des morceaux de béton brisés, les ruines du chantier inachevé. Au centre de l’installation passe une caméra. Elle enregistre en temps réel l’évolution des bâtiments et projette ses images sur un mur, à l’extérieur de la salle. Ce mythe de Sisyphe moderne s’inspire des nouvelles techniques de construction, de plus en plus efficaces. Une nouvelle façon d’imaginer la ville devenue à la fois moderne et absurde.
© Damien Jibert
© Thomas Garnier
Psychédélisme et poésie
Si les installations sont des œuvres à part entière, elles peuvent servir de décor à des films d’élèves. C’est le cas des créations de Pierre Pauze. Dans Mizumoto (le court métrage), il reprend le décor présenté au sein de Sonic Fluid (l’installation). Il y développe un récit rétrofuturiste queer autour du pouvoir de l’eau. Mizumoto, film contemplatif et psychédélique, dévoile différents personnages, issus d’univers parallèles, tous reliés par l’eau et ses incroyables propriétés. Source de puissance, l’eau est ici comparée à un flux de données et de connaissances, comparable au cloud. Mais quels pouvoirs détient-elle vraiment ? Curieux, Pierre a contacté des chercheurs pour en apprendre davantage. « Les expériences scientifiques liées à l’eau sont très tabous », confie-t-il. « Les scientifiques avec qui j’ai travaillé pour ce projet sont autorisés à travailler sur la mémoire de l’eau, mais ne peuvent publier leurs résultats ». Hypnotique, Mizumoto s’impose comme un récit de science-fiction surréaliste et captivant.
Saïd Afifi, quant à lui, signe la seule installation en réalité virtuelle de Panorama 20. Une surprise, puisque l’intérêt des artistes contemporains pour les nouvelles technologies aurait pu inspirer davantage d’œuvres en VR. Yemaya retrace le parcours des migrants en mer, et leur disparition dans les eaux internationales. Poétique et abstrait, le projet s’est déployé à partir de certains modelés de grottes, et des archives numériques du CNRS. Yemaya nous emporte dans un univers onirique aux couleurs sous-marines. Sa particularité ? Ce que voit le porteur de casque VR est retranscrit en temps réel sur un écran, à la vue du public. « C’est une déambulation méditative, qui interroge les formes de représentation », explique Saïd.
Résolument inventive, cette édition 2018 de Panorama donne un nouveau souffle à l’art contemporain. Un programme passionnant, mais sans doute trop dense – 54 productions et 20 installations – pour être pleinement apprécié.
© Pierre Pauze
© Saïd Afifi
© Thanasis Trouboukis
© Alex Verhaest
© Marina Smorodinova
© Vasil Tasevski
Image d’ouverture : © Pierre Pauze