Le Musée national de l’histoire de l’immigration accueille Paris-Londres, Music Migrations (1962-1989). Une exposition immersive qui donne à voir le rôle fédérateur de la musique dans un contexte politique opprimant.
1962, les empires coloniaux français et britannique s’affaiblissent. La même année, l’Algérie, la Jamaïque ou encore Trinidad deviennent indépendantes. Précipitées au rang de capitales multiculturelles, Paris et Londres accueillent un flot de migrations important. Un changement qui coïncide avec l’industrialisation de l’Europe et les premiers pas d’une jeunesse plus insouciante et libérée. Ce contexte marque le point de départ de Paris-Londres, Music Migrations (1962-1989). Organisée de manière chronologique, et couvrant trois décennies, l’exposition donne à voir le rôle primordial de la musique dans ces années marquées par l’évolution.
Si l’événement se veut historique – il a été conçu notamment par Angéline Escafré-Dublet et Martin Evans, tous deux historiens et commissaires scientifiques –, il immerge le visiteur dans un univers artistique et interactif. « Trois types de collections construisent cette exposition, précise Angéline Escafré-Dublet. L’art contemporain, les images d’archives, et les artéfacts – costumes ou instruments, par exemple. » Ces éléments, profondément symboliques, retracent l’histoire d’une immigration singulière. D’abord en marge des médias et de la culture, elle s’est frayée un chemin vers la lumière, jusqu’à utiliser la musique comme une arme, dans les années 1970. Un outil pour protester et se battre pour plus de liberté.
Si les années 1960 sont marquées par le désir de la génération Windrush (migrants arrivés des Antilles britanniques au Royaume-Uni entre 1948 et 1973) de développer leur culture, les années 1970 deviennent le théâtre d’une répression violente. Une crise économique frappe le centre de Londres, qui accueille en majorité une population défavorisée. Au même moment, le National Front – parti politique d’extrême-droite qui vise notamment les populations noires – gagne en popularité. En 1976, des violences éclatent lors du carnaval de Notting Hill (un événement culturel créé par la population afro-caribéenne de la capitale). Une atmosphère qui précipite la création de Rock Against Racism, un festival musical soutenant les minorités. En France, dans un contexte de crise économique et de chômage, à la fin des années 1970, des expulsions de jeunes immigrés et des meurtres racistes poussent les artistes des banlieues parisiennes à construire un réseau similaire, Rock Against Police (RAP), qui organise des concerts au milieu des cités.
© James Barnor / Galerie Clémentine de la Féronnière
La musique rassemble les gens
C’est la musique qui tisse des liens entre les cultures, dans les ex-empires européens. Fédératrice, elle permet aux artistes de protester, de se libérer. À Londres, le reggae et le punk se rencontrent et fusionnent. En France, le raï inspire les artistes, et le rock se métisse. Un mélange des genres qui continue dans les années 1980, avec l’arrivée, notamment, du rap. Si Paris-Londres, Music Migrations plonge le visiteur dans un passé coloré, peuplé d’accessoires, de guitares et de voix d’artistes emblématiques, les images, elles, plus brutes et touchantes, font appel à la mémoire.
Pierre Boulat photographie la vie parisienne extérieure, dès les années 1955. Un melting-pot de jeunes insouciants. Dans les années 1970, Neil Kenlock capture l’insurrection au cœur de Londres. Ses clichés, poignants, dévoilent la violence et le racisme ambiants. Quelques années plus tard, le mouvement Rock Against Racism est immortalisé par un de ses membres fondateurs, Syd Shelton, dont les images de concerts illustrent le succès et le pouvoir fédérateur de la musique. Enfin, Willy Vainqueur photographie les premiers battles de breakdance, à Aubervilliers, en 1984. Mêlées aux œuvres d’art contemporain, ces images d’archives renvoient au réel. Rythmées par les morceaux des Clash, des Négresses vertes ou encore des Rita Mitsouko, elles documentent une histoire complexe, élevée par la musique.
« C’est l’inclusion de ces différentes cultures qui nous a réunis, conclut Don Letts, artiste jamaïcain et ami de Bob Marley, dont l’œuvre est présente au Musée de l’immigration. J’ai donné ma vie à cette exposition, qui est d’autant plus d’actualité en ce moment, depuis que Donald Trump utilise la culture pour diviser les peuples. C’est une maladie, qui se propage dans le monde entier. Pourtant, elle diffuse un mensonge : car la culture rassemble les gens, il ne faut jamais l’oublier. »
Paris-Londres, Music Migrations (1962-1989)
Jusqu’au 5 janvier 2020
Musée national de l’histoire de l’immigration
293, avenue Daumesnil, Paris 12
© Chris Steele-Perkins / Magnum Photos
© James Barnor / Galerie Clémentine de la Féronnière
© Pierre Terrasson
© À g. Pierre Boulat, à d. Janine Niépce / Musée national de l’histoire de l’immigration, Palais de la Porte dorée Paris
© Amadou Gaye / Musée national de l’histoire de l’immigration, Palais de la Porte dorée
© Syd Shelton
© Ian Berry / Magnum Photos