Avec Performer l’invisible, Hoda Afshar transforme une partie du Musée du quai Branly – Jacques Chirac en espace de réflexion sur le pouvoir de la photographie. Croisant deux travaux, Speak the Wind et The Fold, l’artiste iranienne, installée en Australie, interroge ainsi notre façon de regarder. L’exposition est à découvrir jusqu’au 26 janvier 2026.
L’exposition, fraîchement montée, demeure dans la pénombre. « Elle est le fruit de six ans de collaboration entre Hoda Afshar et le musée du quai Branly », introduit Annabelle Lacour, commissaire de Performer l’invisible, à découvrir jusqu’au 26 janvier 2026. La lueur d’un film projeté sur un grand écran légèrement incurvé illumine une cimaise composée d’images aux teintes vives et de dessins. Une mer couleur sang, des tissus volant au vent, des montagnes et des roches aux formes envoûtantes s’y déploient. Pendant cinq ans, Hoda Afshar a exploré les îles du détroit d’Ormuz, au sud de l’Iran, et les croyances qui y perdurent. « Les gens pensent que l’extrême sud de l’Iran est possédé par un vent venu d’Afrique, précise l’artiste. Une beauté étrange se dégage de ces lieux, marqués par l’esclavagisme et une histoire de violence. » S’alliant avec la population locale, elle sonde les rites, les pratiques culturelles liées au vent. « Comment photographier des entités invisibles comme le vent et la magie ? », s’interroge Hoda Afshar. Par l’image fixe et animée et par les dessins réalisés par les habitant·es, elle compose un portrait de la brise, celle qui façonne les montagnes, celle qui est gorgée d’un esprit craint par le peuple de cette contrée. « Les femmes portent des masques avec des moustaches pour duper le vent qui possède principalement les femmes », ajoute l’autrice. Ce travail, intitulé Speak the Wind, révèle les dialogues qui existent entre le réel et le spirituel et donne voix, à travers le médium, à une partie de la société iranienne marginalisée.
Faire plier l’archive
Poursuivant sa recherche sur la façon dont la photographie contribue à perpétuer des récits dominants et coloniaux, Hoda Afshar s’approprie la collection de tirages du psychiatre Gaëtan Gatian de Clérambault (1872-1934) du musée du quai Branly. Ce médecin français, mobilisé au Maroc en 1917, a réalisé de manière obsessionnelle plus de 5 000 photographies d’hommes et de femmes portant l’étoffe blanche traditionnelle afin d’étudier les plis des drapés en fonction du mouvement du corps. « Il y a beaucoup d’interprétations et de lecture de son œuvre », raconte Annabelle Lacour. Hoda Afshar poursuit : « L’histoire coloniale et la recherche de la connaissance ne sont pas les uniques dimensions de son travail. Pour comprendre son obsession, j’ai enquêté, j’ai essayé d’entrer dans sa tête, d’observer à travers ses yeux. Il est devenu mon sujet d’étude. J’ai découvert la complexité de l’histoire et de l’acte de regarder. »
Hoda Afshar parcourt l’archive en ligne du musée, enregistrant une à une les images sur son ordinateur. Cependant, lorsqu’elle retourne dans le dossier où sont classées les photographies, elle se rend compte que seuls des détails carrés ont été sauvegardés. « Elles étaient protégées, il m’était donc impossible de les avoir dans leur entièreté. Mais j’ai décelé une autre couche de l’inaccessibilité des archives », ajoute-t-elle. Elle transforme ces bouts d’images en négatifs, qu’elle tire dans une chambre noire. Dans une rotonde illuminée, une mosaïque de 900 tirages analogiques est présentée, brouillant l’intention de l’auteur qui souhaitait que ses photographies transmettent le savoir des drapés de manière directe. « Finalement, je suis devenue aussi obsessionnelle que Clérambault », confie Hoda Afshar. The Fold (Le Pli) est restitué dans une installation multimédia, faisant converser les archives originelles du psychiatre avec les vignettes argentiques, et avec une séquence de Clérambault reproduite sur des miroirs à taille humaine. L’œuvre se termine sur un film qui mêle animation et entretiens d’universitaires. S’ouvrant sur le suicide du médecin devant un miroir, il interroge la manière dont nous percevons les images et nous invite à réfléchir à notre propre regard.