Cédric Gerbehaye, 39 ans, est né en Belgique. Journaliste de formation, il a choisi la photographie pour témoigner de la réalité complexe à laquelle il s’est confrontée, que ce soit à Gaza, en Turquie, en Irak, en République démocratique du Congo ou au Soudan. L’année 2012 marque une étape importante dans son travail photographique : il laisse derrière lui les zones de conflits pour se consacrer à son pays natal, la Belgique. C’est ainsi qu’est née la série “D’Entre eux”, exposée en ce moment au festival l’Œil urbain. Ses images en noir et blanc dévoilent une sensibilité profonde, presque une vulnérabilité. Dans ce travail, il a capturé la solitude des individus croisés sur son chemin et dépeint un pays en pleine mutation sociale. Un retour aux sources, une forme d’introspection sur laquelle il a accepté de se livrer.
Fisheye : Comment est née D’Entre eux ?
Cédric Gerbehaye : Ce retour en Belgique est né avec la volonté de m’arrêter de voyager et de me concentrer sur une portion de mon pays natal, pour essayer de découvrir à côté de quoi je suis passé. À force de voyager, tu te déracines d’une certaine manière. Quand on me demande de parler de la Belgique, je suis incapable de le faire, je sors toujours les mêmes banalités. J’ai le sentiment que l’on appartient plus au monde que l’on fait qu’à celui d’où l’on vient. J’ai le sentiment d’appartenir davantage à l’addition des différents lieux où je me suis rendu, aux différentes vies qui m’ont été donné de partager, qu’à mon pays d’origine.
Quel est le sens de ce reportage sur la Belgique ?
Je n’ai pas la volonté de faire un travail sur la Belgique, mais en Belgique. J’avais la volonté de m’arrêter et de rester chez moi. De retrouver des habitudes, de découvrir, de prendre mon véhicule et de partir pour quelques jours, de prendre une chambre d’hôtel, d’aller loger chez les gens…
Tu expliques que tu pars sans avoir d’angle, mais tu as une envie ? Tu dis aussi que quand tu pars en reportage, tu pars avec une question. Là tu pars avec quelle question ?
Je pars avec le bagage acquis durant mes voyages. Je me demande : « Comment vit-on? Qu’est-ce qui nos unit?» Bizarrement, on croit que c’est difficile de partir à l’étranger, d’aller dans des zones complexes, difficiles, mais c’est souvent beaucoup plus photographique. Photographier mon pays, c’était me mettre en position de difficulté et sortir d’une zone de confort. La question est de savoir ce que j’allais pouvoir dire, pouvoir raconter… Visuellement, je me suis demandé ce que j’étais en train de faire. Est-ce que je fais bien ? Je n’ai toujours pas répondu à cette question.
Est-ce que ton regard a évolué avec le temps ? D’entre eux t’a-t-il transformé ?
Il m’a permis de mettre des choses au clair, de faire naître de nouvelles questions puisque c’est toujours les questions qui me motivent à partir, à me confirmer dans le désir de poursuivre dans cette voie. Décider d’être photographe aujourd’hui, s’inscrire dans une photographie documentaire comme celle que je pratique, c’est plus qu’un choix de profession, c’est un choix de vie. J’ai terminé D’entre eux en juin 2015. Le mois suivant, je partais pour la première fois en Amérique du Sud, rêve que j’avais depuis longtemps. Avec le désir de commencer un nouveau projet personnel.
D’Entre eux, c’est donc la fin d’un cycle ?
Ce boulot est fait. Mais j’ai le désir de continuer à travailler en Belgique. Est-ce que ce sera possible ? Je ne sais pas, car c’est très personnel et que c’est une infime partie de ce qu’il m’est possible de faire.
Qu’est-ce qui t’as poussé à en faire un livre ?
Être publié dans la presse, c’est toujours mieux. Mais je pense que pour un travail comme celui-ci, la presse n’est pas le support approprié. C’est souvent trop résumé avec peu de texte… Dans le livre, il y a des textes d’auteurs et ils permettent vraiment d’entrer dans la complexité du sujet.
Propos recueillis par Éric Karsenty |Mise en page par Marie Moglia
D’Entre eux,
Cédric Gerbehaye
Textes de Benno Barnard, Caroline Lamarche et Olivier Mouton
Éditions Le bec en l’air, 38 €, 144 pages.