Photos de stars nues : Le piratage qui décomplexe vu par André Gunthert

04 septembre 2014   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Photos de stars nues : Le piratage qui décomplexe vu par André Gunthert

 

 

Et hop, une occasion de vous rappeler que Fisheye #8 arrive bientôt en kiosque avec un dossier spécial Stars !

Depuis dimanche, l’actu “photo & people” qui fait du bruit, c’est la publication par des hackers de photos de stars nues piratées depuis iCloud.

Gentiment stockées sur le service d’Apple, ces images qui n’avaient pas vocation à être dévoilées ont fait le tour du Web. Et quand le chercheur en histoire culturelle et études visuelles André Gunthert en parle, ça devient vraiment intéressant. 

 

 

Il y en a eu, il y en aura malheureusement d’autresle vol et la diffusion via 4chan de plusieurs centaines de photos de célébrités nues le week-end dernier apparaît à première vue comme le triste rappel de la part fantasmatique de l’industrie du divertissement.

Je laisse de côté la dimension la plus discutée du cas, celle de la sécurité du cloud (que cette péripétie ne manquera pas de contribuer à renforcer) et autres lamentations sur la fin de la vie privée (le vol n’est pas la fin de la propriété).

Ce qui me frappe dans ces images, et qui fait évidemment leur valeur, en vertu du nouveau paradigme de l’authenticité qui structure l’image d’enregistrement, c’est leur banalité et leur intimité. Il ne s’agit pas, comme du temps des photos d’Estelle Halliday, de clichés de paparazzi volés sur une plage.

 

Gérôme, "La vérité sortant du puits armée de son martinet pour châtier l'humanité", 1896 (musée Anne-de-Beaujeu)
Gérôme, “La vérité sortant du puits armée de son martinet pour châtier l’humanité”, 1896 (musée Anne-de-Beaujeu)

 

 

Il s’agit d’images de tous les jours réalisées par les acteurs eux-mêmes, souvent des selfies de mauvaise qualité, couvrant une large gamme allant de l’exhibition à la périphérie des ébats sexuels, où l’on reconnaît certes stars et starlettes, mais où l’on voit surtout des jeunes gens, qui s’autophotographient de façon très naturelle, comme vous et moi, comme n’importe qui ayant une vie sexuelle et un smartphone.

On ne peut que condamner le viol de l’intimité de ces jeunes femmes, dont le seul tort est leur notoriété. Mais cet accident a pourtant valeur de signe. A propos d’une iconographie par définition cachée aux regards, qui n’existe que pour être partagée au sein d’un couple ou d’un cercle d’amis intimes, la manifestation du caractère résolument banal de la pratique de l’autophotographie érotique est une information précieuse.

Plus encore que les pratiques sexuelles elles-mêmes, ces usages photographiques, quoique aussi anciens que les médias d’enregistrement, sont particulièrement difficiles à observer et à documenter, en raison du discrédit qui frappe l’image pornographique, unanimement condamnée. 

Comme souvent en matière amoureuse ou sexuelle, les pratiques des stars, révélées de force, sont indicatives d’une évolution de toute la société. Et ce que nous disent ces images volées, dans leur joyeuse insouciance, c’est la normalisation et la prodigieuse expansion d’un genre autonome, boosté par l’autonomie numérique et la connexion généralisée.

Plus que le selfie classique, l’autophotographie érotique est un genre formellement déceptif, très éloigné des modèles de beauté inatteignables de l’industrie. Or, que la mauvaise qualité des poses n’ait dans ce cas aucune importance est une leçon qui doit faire réfléchir, pour ce qu’elle suggère d’une indépendance réelle par rapport aux modèles culturels (question complexe que je ne signale qu’au passage).

Malgré l’accablant sexisme qui a motivé le vol de ces photos, les actrices n’ont rien à craindre quant à leur image. Elles ne font que nous tendre un miroir – ou mieux encore : donner un peu de légitimité à une de nos libertés privées.

 

André Gunthert

 

Cet article était originellement publié sur le blog d’André Gunthert, Culturevisuelle.org

Explorez
Les coups de cœur #567 : Himanshu Vats et Grant Harder
© Grant Harder
Les coups de cœur #567 : Himanshu Vats et Grant Harder
Himanshu Vats et Grant Harder, nos coups de cœur de la semaine, explorent la nature, et les liens qu’elle entretient avec les humains. Le...
01 décembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les images de la semaine du 24 novembre 2025 : héritage, métamorphose et nature
Anish © Arhant Shrestha
Les images de la semaine du 24 novembre 2025 : héritage, métamorphose et nature
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les pages de Fisheye vous parlent d’héritage et de métamorphoses, et vous offrent même une autre...
30 novembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
À Chaumont-Photo-sur-Loire 2025, la nature se révèle picturale et sculpturale 
© Guillaume Barth
À Chaumont-Photo-sur-Loire 2025, la nature se révèle picturale et sculpturale 
Jusqu’au 22 février 2026, Chaumont-Photo-sur-Loire vous donne rendez-vous avec la nature. Pour sa 8e édition, l’événement accueille...
28 novembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
La précieuse fragilité selon le festival FLOW#1
Les Fossiles du futur, Synesthésies océaniques © Laure Winants, Fondation Tara Océan
La précieuse fragilité selon le festival FLOW#1
Du 20 septembre au 30 octobre 2025 s’est tenue la première édition de FLOW, un parcours culturel ambitieux imaginé par The Eyes...
13 novembre 2025   •  
Écrit par Fabrice Laroche
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Cloud Dancer : 7 séries photo qui arborent la couleur Pantone 2026
© Damien Krisl
Cloud Dancer : 7 séries photo qui arborent la couleur Pantone 2026
Chaque mois de décembre, Pantone dévoile sa couleur pour l’année suivante. Pour 2026, il s’agira de « Cloud Dancer », à savoir une nuance...
Il y a 7 heures   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Extrême Hôtel : voyage dans l’œuvre intime et colorée de Raymond Depardon
Italie, Sicile, Taormine, 1981 © Raymond Depardon / Magnum Photos
Extrême Hôtel : voyage dans l’œuvre intime et colorée de Raymond Depardon
Après huit mois de travaux pour rénovation, le Pavillon populaire de Montpellier rouvre ses portes. À cette occasion, le musée...
10 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Twist : les basculements du regard de Grade Solomon
© Grade Solomon
Twist : les basculements du regard de Grade Solomon
Grâce à l'impression risographie, Grade Solomon raconte les formes de vie et les états d’âme dans ce qu’ils ont de familier et de...
09 décembre 2025   •  
Écrit par Milena III
La sélection Instagram #536 : perceptions altérées
© Melchior Dias Santos / Instagram
La sélection Instagram #536 : perceptions altérées
Les artistes de notre sélection Instagram de la semaine s’amusent à déformer leurs images. Ils et elles jouent avec le flou, la...
09 décembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger