Policiers, vous êtes filmés !

04 février 2021   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Policiers, vous êtes filmés !

En plein cœur du débat politique et médiatique autour du projet de loi controversé, l’application mobile Urgence violences policières s’impose comme le nouvel outil de surveillance citoyenne des forces de l’ordre. Cet article, rédigé par Gwenaëlle Fliti, est à retrouver dans notre dernier numéro.

« Aujourd’hui, en France, il n’y a pas un policier qui ne sait pas qu’UVP existe »

, assure Amal Bentounsi, à l’origine de cette initiative. Et pour cause, en moins d’un an, l’application mobile Urgence violences policières (UVP), qui permet de filmer les violences policières depuis son téléphone, a été téléchargée 55000 fois à travers le monde. Rappelons que filmer un contrôle policier reste conforme à la circulaire du 23 décembre 2008. Pour un rendu plus exploitable, l’appli conseille de situer la scène et d’éviter de la commenter afin de pouvoir entendre au mieux les policiers. Les images géolocalisées sont réceptionnées instantanément, puis stockées sur un serveur sécurisé. Et si le portable se casse ou est arraché des mains, l’enregistrement demeure. À l’origine de cette innovation, Urgence notre police assassine, le collectif des familles de victimes fondé en 2012 par Amal Bentounsi, la sœur d’Amine – abattu cette année-là d’une balle dans le dos par un policier lors d’une course-poursuite à Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis).

« En dépit de l’autopsie, on a voulu nous faire croire à un moment que la balle avait pu faire des ricochets avant de venir perforer le corps de mon frère », relate Amal, sidérée. Elle le sait, Amine n’est qu’une victime parmi tant d’autres. S’appliquer à faire changer les choses en profondeur sera son combat. Mais que faire lorsque la parole de la police semble être d’or ? À cette époque, la militante entend parler de l’existence potentielle d’une vidéo qui aurait pu être effacée par la police. C’est alors que germe l’idée de l’appli qui verra le jour le 10 mars 2020. Coïncidence ou non, deux mois plus tard, le député LR Éric Ciotti déposait une proposition de loi visant à interdire et sanctionner toute diffusion d’images permettant d’identifier des membres des forces de l’ordre dans l’exercice de leurs fonctions, comme un prequel à la proposition de loi sécurité globale qui, elle, vise à en pénaliser la diffusion « malveillante ». Loi qui devrait être examinée par le Sénat en janvier avant saisine du Conseil constitutionnel.

© Boby

Sans caméra, l’impunité se propage

Noirs, Arabes, musulmans, zadistes, Gilets jaunes, avocats, photojournalistes… tous se sentent concernés par ce texte controversé. Selon Amal, s’il est ratifié, ce serait un glissement vers un État policier : « Nos libertés s’y verraient restreintes, et nos droits fondamentaux bafoués, laissant l’impunité se propager là où les caméras de surveillance ne fonctionnent pas, là où l’on peut tabasser des jeunes sous les porches dans le seul but d’assouvir une haine idéologique raciste. » Selon l’enquête du média indépendant Bastamag, 26 personnes auraient été tuées en 2019 « à la suite d’interventions policières ou du fait d’un agent des forces de l’ordre ». En parle-t-on plus grâce aux vidéos ? « Évidemment, soutient Amal. Prenez l’affaire Théo en 2017, avec le collectif, on a été les premiers à diffuser les images relatives à l’arrestation violente et au viol allégué du jeune homme à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Une vidéo partagée près de 20 000 fois. »

Le 21 novembre 2020, ce sont les images d’une caméra de vidéosurveillance diffusée par le média indépendant Loopsider qui a choqué l’opinion publique. On y voit Michel Zecler, producteur de musique dans son studio parisien, être agressé violemment par un groupe de policiers. « J’en ai pleuré, lâche Amal. Pendant treize minutes, il prend des coups, il a très peur. S’il ne s’était pas laissé faire, il serait peut-être mort et, sans la vidéo, on n’aurait pas su comment. » Et s’il avait eu l’appli ? « UVP aurait pu avoir un effet dissuasif. On aurait pu avoir les images en direct, et donc une géolocalisation précise, avance la militante. On aurait même pu se déplacer et informer les journalistes de ce qui se passait en temps réel. » Seulement l’appli nécessite d’avoir un smartphone, de la batterie, et les mains libres pour filmer, ou poser le portable de manière à pouvoir capter la scène. « Je me suis servi de l’appli le 21 juin 2020 à Nantes, témoigne Pablo, développeur parisien de 24 ans. C’était lors d’une manifestation – interdite par le préfet – pour protester contre la mort de Steve [survenue lors de la Fête de la musique 2019, à la suite d’une opération de police controversée, ndlr]. J’étais avec des amis dans une camionnette faisant office de char de son. Les flics nous ont gazés et interpellés, accusant le chauffeur d’avoir tenté de les écraser en forçant un barrage. Coincé au fond du camion, j’ai commencé à les filmer, les prévenant que je me servais d’UVP. Ça les a aussitôt calmés. Ils m’ont relâché, mais ils ont placé mon pote en garde à vue. » Typique, à en croire Amal Bentounsi : « Dans toutes les vidéos que l’on reçoit, dès que les policiers se savent filmés via UVP, ils prennent peur. On observe dès lors une désescalade de la violence, et un dialogue s’installe. »

 

Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #45, en kiosque et disponible ici

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