Jean-Christian Bourcart nous propose une réflexion sur l’utilisation politique des images en présentant Jour de colère – une série où il exprime sa rage devant l’investiture de Donald Trump – qu’il met en relation avec une étonnante vidéo. Un film de quatre minutes dans lequel un algorithme, conçu avec l’intelligence artificielle, interroge le futur des images à partir de ses propres archives.
« Ça a duré dix minutes et j’ai shooté comme un malade. J’étais comme un sniper, je voulais les dégommer,
raconte Jean-Christian Bourcart. Ce n’était pas prémédité, sauf peut-être l’idée du cadrage, le fait de couper dans ces visages. Je suis toujours assez sensible aux rapports entre l’esthétique et l’éthique, aux manières de raconter, et aux moyens photographiques qui permettent d’exprimer ce que je veux dire. » Photographe instinctif, réagissant de manière animale à une situation qui le révolte, Jean-Christian Bourcart a l’habitude d’interroger sa pratique pour trouver la forme la plus juste. Dans Jour de colère, série réalisée à Washington le 20 janvier 2017, il photographie les supporters de Donald Trump « au télé avec une hargne frénétique… mon appareil photo se transforme en machine à dégrader leur image, coupant dans les visages, traquant les rictus inconfortables, dévisageant leur humanité amputée ». Une colère que l’on peut rapprocher de la série Collateral (2005) où l’auteur projette des clichés d’Irakiens blessés ou tués – pris sur le Net – sur les maisons, les églises ou les supermarchés de l’État de New York où il passe ses vacances. Une réaction impulsive dans laquelle « il s’agissait moins de dénoncer que de confronter deux réalités quasi simultanées : une guerre au loin, sans merci, chaotique, dont nous n’avions que des échos tronqués, filtrés ; et un pays/décors où tout était paisible, propre, ordonné, surveillé ».
Pouvoir des algorithmes
« Le monde change et la responsabilité des créateurs d’images est de proposer d’autres façons de le regarder »,
précise Jean-Christian Bourcart dans un entretien au Jeu de Paume, en 2007. Et la vidéo présentée en regard de Jour de colère est significative des recherches du photographe qui vit aux États-Unis depuis vingt ans et dont la pratique « se politise de plus en plus ». Intitulé KLCK-28, du nom de l’algorithme utilisé, ce film commandité par Didier Quilain pour Olympus convoque l’intelligence artificielle pour interroger « le futur des images » à travers les propres archives de l’auteur. Il en résulte une vidéo de quatre minutes absolument sidérante qui questionne le pouvoir des algorithmes dans nos utilisations d’Internet et des réseaux sociaux. Et en particulier de la récupération politique qui en découle pour adapter les discours de propagande. « C’est aussi pour ça que ces gens-là sont coupés [dans Jour de colère], comme si une partie d’eux-mêmes était déjà bouffée par la machine de la propagande. La machine leur a déjà mangé la tête. Pour moi, on est déjà dans l’entrée de la dictature du futur… », lâche le photographe.
Poursuivre les supporters de Trump
La vidéo fait d’ailleurs souvent partie des moyens utilisés par l’auteur qui n’a pas peur de multiplier les écritures, comme avec Camden (2008) – la ville la plus dangereuse des États-Unis – projet dans lequel il décline film, photos et textes pour rendre compte au plus près de son expérience. « Avec la vidéo, on sent qu’il y a des vrais gens. Des gens qui ont des histoires, qui sont touchés, qui pleurent, qui luttent… », précise-t-il. Une volonté d’aller vers les autres que l’on retrouve fréquemment à travers ses travaux. Le très bon accueil de Jour de colère aux Rencontres d’Arles cet été et la rage devant une situation qui continue de se dégrader conduisent Jean-Christian Bourcart à donner un prolongement à cette série. Il prévoit, en effet, de pourchasser les supporters de Trump sur leur territoire. À suivre.
© Jean-Christian Bourcart
Jour de colère
Du 2 au 25 novembre 2017.
Du mardi au samedi, de 14 h 30 à 19 h 30.