Politique des images

31 octobre 2017   •  
Écrit par Eric Karsenty
Politique des images

Jean-Christian Bourcart nous propose une réflexion sur l’utilisation politique des images en présentant Jour de colère – une série où il exprime sa rage devant l’investiture de Donald Trump – qu’il met en relation avec une étonnante vidéo. Un film de quatre minutes dans lequel un algorithme, conçu avec l’intelligence artificielle, interroge le futur des images à partir de ses propres archives.

« Ça a duré dix minutes et j’ai shooté comme un malade. J’étais comme un sniper, je voulais les dégommer,

raconte Jean-Christian Bourcart. Ce n’était pas prémédité, sauf peut-être l’idée du cadrage, le fait de couper dans ces visages. Je suis toujours assez sensible aux rapports entre l’esthétique et l’éthique, aux manières de raconter, et aux moyens photographiques qui permettent d’exprimer ce que je veux dire. » Photographe instinctif, réagissant de manière animale à une situation qui le révolte, Jean-Christian Bourcart a l’habitude d’interroger sa pratique pour trouver la forme la plus juste. Dans Jour de colère, série réalisée à Washington le 20 janvier 2017, il photographie les supporters de Donald Trump « au télé avec une hargne frénétique… mon appareil photo se transforme en machine à dégrader leur image, coupant dans les visages, traquant les rictus inconfortables, dévisageant leur humanité amputée ». Une colère que l’on peut rapprocher de la série Collateral (2005) où l’auteur projette des clichés d’Irakiens blessés ou tués – pris sur le Net – sur les maisons, les églises ou les supermarchés de l’État de New York où il passe ses vacances. Une réaction impulsive dans laquelle « il s’agissait moins de dénoncer que de confronter deux réalités quasi simultanées : une guerre au loin, sans merci, chaotique, dont nous n’avions que des échos tronqués, filtrés ; et un pays/décors où tout était paisible, propre, ordonné, surveillé ».

 

© Jean-Christian Bourcart
© Jean-Christian Bourcart
© Jean-Christian Bourcart
© Jean-Christian Bourcart

Pouvoir des algorithmes

« Le monde change et la responsabilité des créateurs d’images est de proposer d’autres façons de le regarder »,

précise Jean-Christian Bourcart dans un entretien au Jeu de Paume, en 2007. Et la vidéo présentée en regard de Jour de colère est significative des recherches du photographe qui vit aux États-Unis depuis vingt ans et dont la pratique « se politise de plus en plus ». Intitulé KLCK-28, du nom de l’algorithme utilisé, ce film commandité par Didier Quilain pour Olympus convoque l’intelligence artificielle pour interroger « le futur des images » à travers les propres archives de l’auteur. Il en résulte une vidéo de quatre minutes absolument sidérante qui questionne le pouvoir des algorithmes dans nos utilisations d’Internet et des réseaux sociaux. Et en particulier de la récupération politique qui en découle pour adapter les discours de propagande. « C’est aussi pour ça que ces gens-là sont coupés [dans Jour de colère], comme si une partie d’eux-mêmes était déjà bouffée par la machine de la propagande. La machine leur a déjà mangé la tête. Pour moi, on est déjà dans l’entrée de la dictature du futur… », lâche le photographe.

Poursuivre les supporters de Trump

La vidéo fait d’ailleurs souvent partie des moyens utilisés par l’auteur qui n’a pas peur de multiplier les écritures, comme avec Camden (2008) – la ville la plus dangereuse des États-Unis – projet dans lequel il décline film, photos et textes pour rendre compte au plus près de son expérience. « Avec la vidéo, on sent qu’il y a des vrais gens. Des gens qui ont des histoires, qui sont touchés, qui pleurent, qui luttent… », précise-t-il. Une volonté d’aller vers les autres que l’on retrouve fréquemment à travers ses travaux. Le très bon accueil de Jour de colère aux Rencontres d’Arles cet été et la rage devant une situation qui continue de se dégrader conduisent Jean-Christian Bourcart à donner un prolongement à cette série. Il prévoit, en effet, de pourchasser les supporters de Trump sur leur territoire. À suivre.

© Jean-Christian Bourcart
© Jean-Christian Bourcart
© Jean-Christian Bourcart
© Jean-Christian Bourcart

© Jean-Christian Bourcart

 

Jour de colère

Du 2 au 25 novembre 2017.

Du mardi au samedi, de 14 h 30 à 19 h 30.

www.fisheyegallery.fr

Explorez
Les expositions photo à ne pas manquer en 2025
Bendy, 2019. Pinault Collection. © Deana Lawson / courtesy de l’artiste et de David Kordansky Gallery
Les expositions photo à ne pas manquer en 2025
Les expositions photographiques se comptent par dizaines, en France comme à l’étranger. Les artistes présentent autant d’écritures que de...
14 mai 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Photo London 2025 : héritage photographique et nouveaux récits
© Sebastiao Salgado
Photo London 2025 : héritage photographique et nouveaux récits
Photo London 2025 célèbre sa dixième édition du 15 au 18 mai à Somerset House, avec un programme anniversaire mettant à l’honneur la...
14 mai 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
L'exposition Benzine Cyprine victime de vandalisme
Le compromis, de la série Benzine Cyprine © Kamille Lévêque Jégo
L’exposition Benzine Cyprine victime de vandalisme
Les expositions présentant le travail de femmes photographes et traitant de sujets liés au féminisme et à l’égalité des genres sont...
12 mai 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Dans l'œil de Marivan Martins : portrait de la surconsommation
Black Friday © Marivan Martins
Dans l’œil de Marivan Martins : portrait de la surconsommation
Aujourd’hui, plongée dans l’œil de Marivan Martins, photographe brésilien, installé à Paris, dont le livre autoédité Black Friday est...
12 mai 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Samuel Edwards : désirs en miroir
© Samuel Edwards
Samuel Edwards : désirs en miroir
Récemment diplômé de la Central Saint Martins College of Art and Design à Londres, Samuel Edwards navigue dans un univers où s'imbriquent...
À l'instant   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Les expositions photo à ne pas manquer en 2025
Bendy, 2019. Pinault Collection. © Deana Lawson / courtesy de l’artiste et de David Kordansky Gallery
Les expositions photo à ne pas manquer en 2025
Les expositions photographiques se comptent par dizaines, en France comme à l’étranger. Les artistes présentent autant d’écritures que de...
14 mai 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Photo London 2025 : héritage photographique et nouveaux récits
© Sebastiao Salgado
Photo London 2025 : héritage photographique et nouveaux récits
Photo London 2025 célèbre sa dixième édition du 15 au 18 mai à Somerset House, avec un programme anniversaire mettant à l’honneur la...
14 mai 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Festival de Cannes : 22 séries photo qui mettent le cinéma à l’honneur
Un calendrier situé à l'extérieur du bureau du lieutenant indique le nombre de jours écoulés depuis le dernier meurtre © Theo Wenner
Festival de Cannes : 22 séries photo qui mettent le cinéma à l’honneur
À l’occasion de la 78e édition du Festival de Cannes, qui commence ce mardi 13 mai, la rédaction de Fisheye met le cinéma à...
13 mai 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet