Prisonnières en pièce

14 février 2019   •  
Écrit par Anaïs Viand
Prisonnières en pièce

La metteure en scène et comédienne Fatima Soualhia-Manet porte sur les planches Too Much Time (Women in Prison), une pièce sur les femmes détenues, inspirée du texte et des images de la photographe Jane Evelyn Atwood. 
Cet article est à retrouver dans notre dernier numéro.

Estomac noué, frissons et quelques larmes… La soirée du jeudi 27 septembre 2018 fut bouleversante. À l’espace Anis Gras-Le lieu de l’autre, à Arcueil (Val-de- Marne), se jouait Too Much Time (Women in Prison), un projet théâtral documentaire conçu à partir d’une enquête photographique devenue livre. Une première. Sur un plateau noir, témoignages, photographies et vidéos se sont succédé durant presque une heure. Et c’est la photographe américaine Jane Evelyn Atwood qui guidait le spectateur dans un univers qu’elle connaît bien : les femmes en prison.

Vingt ans plus tôt, Jane Evelyn Atwood enquêtait déjà. « J’ai toujours été fascinée par les mondes clos et la condition humaine. Je suis curieuse de voir comment vivent les personnes en situation de détresse », explique-t-elle. De 1989 à 1998, elle a parcouru neuf pays et quarante prisons pour immortaliser des femmes détenues. « J’ai enregistré, écrit et photographié ce que je voyais », poursuit-elle. Ce travail colossal – exposé en 1998 à la Maison de la Villette et publié en 2000 chez Albin Michel, en français, et chez Phaidon, en anglais – demeure actuel. En témoigne l’adaptation théâtrale signée Fatima Soualhia-Manet, comédienne et metteure en scène au sein de la Libre Parole Compagnie. Une aubaine pour les théâtreux, les passionnés de photo et la photographe elle-même. « Quand j’ai commencé à réaliser ces images, j’ai tout de suite pensé que ces histoires bouleversantes se prêtaient à la scène, se souvient la photographe américaine, qui a d’abord étudié l’art dramatique. Toutefois, l’idée d’être avec des gens de théâtre m’ennuyait un peu, et j’avais un problème de trac non maîtrisable. »

Les deux femmes se connaissaient depuis longtemps et ont étroitement collaboré sur le projet. « Je demandais toujours son avis à Jane, car son œil est très juste, explique la metteure en scène. Elle est très exigeante et pertinente. C’est le genre de femme qui ne vous laisse pas intacte, qui vous transforme. Ce projet s’inscrit dans un parcours de femmes. Avant de travailler sur l’ouvrage de Jane, j’ai porté à la scène des entretiens de Marguerite Duras – deux femmes aux pensées fortes, qui s’intéressent aux gens », précise Fatima Soualhia-Manet.

© Jane Evelyn Atwood

Système carcéral moyenâgeux

« 90 % de ces femmes sont incarcérées pour des délits non violents : chèques sans provision, vol de chéquiers, fausses cartes de crédit, usage ou revente de stupéfiants »

, indique Jane Evelyn Atwood. Dans le livre comme dans la performance, les éléments factuels s’ajoutent aux témoignages de détenues pour dépeindre un monde méconnu. « Peu de gens s’intéressent à ce sujet, excepté s’ils connaissent quelqu’un d’emprisonné », précise la photographe. « C’est un sujet qui fait peur et fascine en même temps », ajoute Fatima Soualhia-Manet. Cette dernière a donné des cours de théâtre durant deux ans à Fresnes – centre pénitentiaire où les conditions de détention sont parmi les plus déplorables de l’Hexagone – pour s’imprégner du système carcéral. « La description très moyenâgeuse de Jane est très juste et encore d’actualité », témoigne-t-elle.

Durant cinquante-deux minutes, sur une scène sobre et sans artifice – juste quelques chaises dans la pénombre – des femmes apparaissent : Johanna, Lynn, Peggy, Angel, Bonnie, une directrice d’institution… L’une a tué son mari pour en finir avec les violences conjugales; une autre a assassiné son enfant. Et puis il y a celles qui sont là pour un crime qu’elles n’ont pas commis. « Je ne voulais pas d’une mise en scène tape-à-l’œil. Je souhaitais laisser parler le texte et les images », explique Fatima Soualhia-Manet. La personne qui rassemble ces témoignages est Jane Evelyn Atwood, filmée en plan serré et dont l’image est projetée en fond de scène. « Elle est la passerelle, le lien visible, la vidéo, le socle de la scénographie, argumente la comédienne. Sa présence est indispensable : il fallait la faire sortir du livre. » À travers ses interventions filmées, la photographe explique son processus de création. « Il m’a fallu beaucoup de temps “pour sortir de prison”. Quand ce reportage a été achevé et publié, j’avais les cheveux gris, et tout le monde utilisait un téléphone portable », confie-t-elle, face caméra. Jane Evelyn Atwood accorde le temps que le sujet mérite d’avoir, et les prisons méritent beaucoup de temps, trop de temps, too much time.

Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #34, en kiosque et disponible ici.

© Jane Evelyn Atwood

© Jane Evelyn Atwood

 

© Jane Evelyn Atwood

© Jane Evelyn Atwood

© Jane Evelyn Atwood

Pièce de Théâtre Too Much Time (Women in prison)

Le 14 mars 2019, à 20 h 30

Le 15 mars 2019, à 14 h 30 et 20 h 30

Théâtre Le Hublot, 87, rue Félix-Faure, à Colombes (92)

www.lehublot.org

 

Explorez
Les temps forts de la photographie qui ont marqué Fisheye en 2024
© Audrey Tautou
Les temps forts de la photographie qui ont marqué Fisheye en 2024
L'année 2024 a été riche en émotions visuelles. Fisheye revient sur ces moments, ces ouvrages et ces séries photographiques qui l’ont...
26 décembre 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Susan Meiselas reçoit le prix Outstanding Contribution to Photography
© Susan Meiselas
Susan Meiselas reçoit le prix Outstanding Contribution to Photography
Le Sony World Photography Awards a remis à Susan Meiselas le prix Outstanding Contribution to Photography pour sa contribution...
24 décembre 2024   •  
Écrit par Costanza Spina
La sélection Instagram #486 : lumières de Noël
© lepgiu22 / Instagram
La sélection Instagram #486 : lumières de Noël
Guirlandes lumineuses, sapins enchantés, poudreuse immaculée et papier cadeau... Les artistes de notre sélection Instagram de la semaine...
24 décembre 2024   •  
Écrit par Marie Baranger
Les images de la semaine du 16.12.24 au 22.12.24 : une multitude de dialogues
© Rebecca Najdowski
Les images de la semaine du 16.12.24 au 22.12.24 : une multitude de dialogues
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les pages de Fisheye dévoilent une multitude de dialogues initiés par la photographie.
22 décembre 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Mémoire et écologie : les photographes de Fisheye dévoilent leur vision des Alpes
© Téo Becher
Mémoire et écologie : les photographes de Fisheye dévoilent leur vision des Alpes
Parmi les thématiques abordées sur les pages de notre site comme dans celles de notre magazine, certaines prennent place dans des régions...
Il y a 3 heures   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les temps forts de la photographie qui ont marqué Fisheye en 2024
© Audrey Tautou
Les temps forts de la photographie qui ont marqué Fisheye en 2024
L'année 2024 a été riche en émotions visuelles. Fisheye revient sur ces moments, ces ouvrages et ces séries photographiques qui l’ont...
26 décembre 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Ljubiša Danilović : strass de classe
© Ljubiša Danilović
Ljubiša Danilović : strass de classe
Dans Strass, sosies de stars, Ljubiša Danilović documente, comme l'indique le titre de la série, le quotidien de sosies de célébrités....
26 décembre 2024   •  
Écrit par Eric Karsenty
Ces séries de photographies qui capturent l'hiver
© Axelle de Russé
Ces séries de photographies qui capturent l’hiver
L’hiver, ses terres enneigées et ses festivités se révèlent être la muse d’un certain nombre de photographes. En ce jour de Noël, la...
25 décembre 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine