L’artiste franco-camerounais, figure majeure du continent africain, a les honneurs de la Maison européenne de la photographie qui lui consacre une rétrospective, jusqu’au 13 mars 2022. L’occasion pour l’écrivain et critique d’art Simon Njami de lui tirer le portrait. Cet article est à retrouver dans notre dernier numéro.
« Mon corps est à la fois voyant et visible. Lui qui regarde toutes choses, il peut aussi se regarder, et reconnaître dans ce qu’il voit alors l’autre côté de sa puissance voyante »,
écrivait Maurice Merleau-Ponty dans L’Œil et l’Esprit (éd. Gallimard, 1964). Il en est des autoportraits comme d’une mise en abyme. Un piège facile dans lequel va tomber « le voyeur », en associant le photographe avec le photographié. Mais comment y échapper lorsqu’ils se confondent ? Comment ne pas rechercher le message affiché que, croyons-nous, l’auteur veut nous renvoyer de lui-même ? Peut-être en essayant de faire abstraction de la partie réflexive qu’impose tout autoportrait, et en nous concentrant sur le portrait lui-même. Un portrait qui n’aurait rien à voir avec l’aspect physique de son auteur, et donc avec sa propre histoire ? L’exercice est vain, naturellement. Le moindre masque, le moindre camouflage est en soi révélateur. Il n’est qu’à opérer un flash-back sur ces premières images prises dans les années 1970.
L’histoire de Samuel Fosso commence au fond d’un studio de Bangui, en Centrafrique. Un homme très jeune, un gamin presque, allume les lampes des projecteurs pour préparer une séance de prise de vue pas comme les autres. Dehors, c’est la nuit. La plupart des braves gens sont sans doute plongés dans un sommeil profond. La pellicule est alors une denrée précieuse, un gagne-pain que l’on réserve aux clients qui viennent se livrer au rituel de la photo du dimanche. On découvre, dans le studio, ces décors peints dont on raffole parce qu’ils font oublier, le temps de quelques clichés, l’aridité de la vie quotidienne. Une fois le cérémonial de la préparation achevé, le jeune homme revêt des habits qui rappellent les tenues des vedettes du music-hall de l’époque, dont on peut voir les images dans les magazines à une période où la télévision demeure un luxe. Il se photographie en maillot de corps et slip, avec des chaussures à talons compensés et des pattes d’eph à franges, des lunettes qui lui mangent le visage, et dans des poses qui suggèrent tout le glamour des scènes internationales.
Samuel Fosso n’a fréquenté aucune école, si ce n’est celle, impitoyable, de l’exil et des conflits qui embrasent alors de nombreux pays du continent africain. Au-delà des données biographiques, qui contiennent toujours une part de fiction, c’est la « fiction réelle » que le photographe élabore autour de lui par le biais de la photographie qui me paraît intéressante. Le photographe aime à le dire : après une adolescence difficile, qui le malmène du Cameroun à Bangui en passant par le Nigeria, il éprouve le besoin, une fois installé dans la capitale de la République centrafricaine, d’envoyer des nouvelles à sa grand-mère illettrée qui lui manque énormément. Cette forme de correspondance visuelle est certes charmante, mais n’explique pas tout. Samuel Fosso pense d’abord à lui lorsqu’il se photographie. Ou du moins à une projection de soi qui l’inscrit dans un « réel imaginaire ». Et même si ces premières images ne portent pas de titres, on les appellera très rapidement « Les années 1970 ». Après cette décennie, Samuel Fosso a appris à s’effacer. Ses images semblent au premier abord simplement ludiques (elles sont en couleurs), mais une dimension politique affichée (avec la volonté de porter un regard extérieur sur l’évolution de la société africaine) se dessine. Une ambition. Dans ces images, qui sont regroupées dans la série Tati, apparaît déjà l’artiste en gestation. La photographie n’est plus ce miroir avec lequel on joue à l’envi, elle devient une expression, une écriture qui va remplacer les mots. De L’Américaine à La Femme libérée, au Chef qui a vendu l’Afrique, le message est clair. Le photographe sort de sa carapace pour se confronter au monde. Son image se projette au-delà d’elle-même: elle se dématérialise et devient signe, symbole…
Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #50, disponible ici.
© Samuel Fosso courtesy Jean-Marc Patras / Paris