Sexe, street et mangas

05 mars 2021   •  
Écrit par Finley Cutts
Sexe, street et mangas

Sur la galerie digitale du mystérieux A. – ou @gyoza_and_sake sur Instagram – recèle un ensemble sombre et troublant de clichés. Entre l’anonymat de la rue et l’intimité d’une chambre d’hôtel, le photographe flirte avec les frontières de l’obscène et dévoile, avec passion, un ensemble d’images monochromes.

« Je cherche à montrer quelque chose de brut et de vrai »

, appuie le mystérieux photographe A., installé au Japon et caché derrière le pseudo @gyoza_and_sake sur Instagram. D’abord réticent envers la photographie, il se tourne vers le médium lors d’un voyage longtemps attendu au Pays du Soleil levant. « Pendant mon premier séjour à Kyoto, j’ai eu le sentiment que c’était peut-être ma dernière visite du Japon. J’ai donc décidé de capturer ma vie quotidienne et les choses que je trouvais percutantes. », raconte-t-il. Avec un appareil photo « merdique » en poche, selon ses mots – acheté pour à peine 30 euros – il shoote frénétiquement tout ce qui passe sous ses yeux. Et 6 ans plus tard, A. vit encore au Japon, et n’a toujours pas retiré son œil du viseur. Avec une approche agressive et constante, il construit un ensemble d’images unique et toujours grandissant – une véritable plongée dans le tempo intime et turbulent du photographe. Chaos et fulgurances, devant son objectif défilent scènes de rue graphiques et portraits flamboyants, bousculant les codes de la pudeur et poussant l’artiste dans l’anonymat.

« J’ai commencé à photographier en couleur et je me souviens avoir pensé : “Pourquoi les gens photographient-ils en noir et blanc ? Ils perdent tellement de vitalité”. Puis je me suis essayé au monochrome, et je n’ai jamais fait marche arrière », se remémore le photographe. Avec des contrastes grisants, et des flashs impétueux, il arrache ses sujets du réel et les projette hors du temps dans un monde où le vice rime avec l’amour. « J’aime la distorsion qui surgit avec le grain – l’accent sur les textures, les motifs et le vertige provoqué par les espaces vides. C’est une façon de me distancer de la réalité, ou du moins de mes sujets », raconte-t-il. Loin de chercher son inspiration dans l’histoire du 8e art, le photographe puise dans l’univers du manga et de la bande dessinée : Hellboy, Sin City, BLAME, Lone Wolf and Cub, pour n’en citer que quelques-uns. « La texture du papier, le contraste exagéré et la dimension tactile des pages s’immiscent clairement dans mon travail », explique l’artiste.

© @gyoza_and_sake

À l’ombre des regards

Que ce soit contre le béton presque cruel de la rue, ou face à la douceur remarquable d’une chambre d’hôtel, A. oscille entre deux mondes et tisse des liens entre l’intime et le public – l’obscénité et la chasteté. Dans le métro, sous un abribus, dans un marché… En déambulant dans la ville, l’artiste se confronte à l’insouciance des passants anonymes. Puis, avec un certain voyeurisme, il se cache à l’ombre des regards, et laisse ses modèles se désinhiber pour flirter avec son objectif. « La partie brute et la partie délicate de mes images sont en fait les deux faces de la même médaille. Elles révèlent les paradoxes de ma personnalité : ma partie introvertie et ma partie plus agressive », raconte le photographe. Car avant tout, la photographie permet à @gyoza_and_sake de s’extraire de sa bulle et de vaincre sa timidité. « C’est un outil qui me permet d’appréhender la vie en général. Comme quand un comédien se produit : il se révèle. La scène lui donne la possibilité de faire des choses qu’il ne ferait pas normalement. C’est la même chose pour moi quand j’ai mon appareil photo en main », explique-t-il.

Et à la prise de vue se succède un second temps, plus lent, où A. recompose ses clichés. En se faisant, il assure une cohérence d’ensemble et impose son style. « Mes créations relèvent en grande partie de mon souci esthétique, poursuit l’artiste. Je passe beaucoup de temps à regarder mes images, à les confronter entre elles et à penser les sensations qu’elles me procurent, pour que je trouve la meilleure manière de les assembler ». En résultent des compositions sans concessions, à l’obscurité inégalée et à la provocation assumée – non sans rappeler le mouvement japonais Provoke et sa figure de proue : l’immense photographe Daido Moriyama. Éduqué aux rythmes de groupes comme Dead Can Dance, Noir Désir et Nick Cave, ou aux films de David Lynch et David Cronemberg, A. assume entièrement la dimension sombre de ses images et en fait même sa signature. « On m’a souvent dit que mes photos étaient sombres et qu’elles véhiculaient un sentiment de solitude… Et je suis tout à fait d’accord avec ces deux points ! », reconnaît-il. Avec rigueur et dextérité, l’artiste cultive une esthétique à la limite de l’obscène, où se révèle une sensibilité troublante pour le corps et les aléas du quotidien nippon.

© @gyoza_and_sake

© @gyoza_and_sake© @gyoza_and_sake

© @gyoza_and_sake© @gyoza_and_sake© @gyoza_and_sake© @gyoza_and_sake

© @gyoza_and_sake© @gyoza_and_sake

© @gyoza_and_sake© @gyoza_and_sake© @gyoza_and_sake© @gyoza_and_sake

© @gyoza_and_sake© @gyoza_and_sake

© @gyoza_and_sake

© @gyoza_and_sake© @gyoza_and_sake

© @gyoza_and_sake© @gyoza_and_sake© @gyoza_and_sake

© A. @gyoza_and_sake

Explorez
Kincső Bede : Déshéritée
© Kincső Bede
Kincső Bede : Déshéritée
Dans son livre Porcelain and Wool, Kincső Bede se réapproprie son identité transverse par des objets, des lieux et des tissus de la...
04 décembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Mouche Books édite son premier livre photo-poésie Selfportraits
© Lena Kunz
Mouche Books édite son premier livre photo-poésie Selfportraits
La revue Mouche, qui fait dialoguer le 8e art avec la poésie depuis quatre ans, lance sa maison d’édition Mouche Books avec comme premier...
27 novembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Corps, catch et injonctions : la séance de rattrapage Focus
©Théo Saffroy / Courtesy of Point Éphémère
Corps, catch et injonctions : la séance de rattrapage Focus
Les photographes des épisodes de Focus sélectionnés ici révèlent les corps et dénoncent les injonctions que nous leur collons. Ils et...
26 novembre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Dans l’œil de Naïma Lecomte : rendez-vous au bord de l’eau après les cours
© Naïma Lecomte / Planches Contact Festival
Dans l’œil de Naïma Lecomte : rendez-vous au bord de l’eau après les cours
Cette semaine, nous vous plongeons dans l’œil de Naïma Lecomte. Jusqu’au 4 janvier 2026, l’artiste présente Ce qui borde à Planches...
24 novembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
3 livres à offrir à Noël : réel, fiction et mode
Dior par Yuriko Takagi © Yuriko Takagi
3 livres à offrir à Noël : réel, fiction et mode
Noël approche. À cette occasion, la rédaction de Fisheye vous concocte des sélections de ses livres photo préférés, que vous...
Il y a 4 heures   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Pour Noël, Tendance Floue organise une vente de tirages à moins de 70 euros
© Céline Croze / Tendance Floue
Pour Noël, Tendance Floue organise une vente de tirages à moins de 70 euros
Jusqu’au 10 décembre 2025, les membres de Tendance Floue vous proposent d’acquérir certaines de leurs œuvres grâce à une vente...
04 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Kincső Bede : Déshéritée
© Kincső Bede
Kincső Bede : Déshéritée
Dans son livre Porcelain and Wool, Kincső Bede se réapproprie son identité transverse par des objets, des lieux et des tissus de la...
04 décembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Bellissima : la fabrique des apparences par Carla Rossi
© Carla Rossi
Bellissima : la fabrique des apparences par Carla Rossi
Dans son ouvrage Bellissima, publié par Art Paper Editions, Carla Rossi explore les désirs, les façades et les codes qui façonnent la...
03 décembre 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas