Souvenirs d’une insurrection rêvée

20 novembre 2020   •  
Écrit par Finley Cutts
Souvenirs d'une insurrection rêvée

Du Black bloc parisien, aux manifestations prodémocratie à Hong-kong, le photographe français Thaddé Comar mène une réflexion esthétisée sur les luttes politiques et l’abus de pouvoir dans une société de surveillance. En plus de critiquer le surarmement policier, l’artiste questionne dans son projet How was your dream ? les notions d’anonymat, d’unité dans un groupe, et plus largement les rapports de force dans les insurrections.

« En 2019, j’ai commencé à voir les images des manifestations de Hong Kong. J’ai pris un billet deux jours avant de décoller, et finalement je suis resté deux mois »,

se souvient Thaddé Comar. Lauréat de la bourse photographique de ProHelvetia, l’artiste a cherché à poursuivre son travail 2017 n’aura pas lieu sur le Black bloc parisien. C’est une période historique pour la ville chinoise : l’avenir de la démocratie est remis en question. Les rues deviennent des microcosmes politiques et les habitants s’y rencontrent, et imaginent le monde de demain. Plongé au cœur des manifestations contre l’amendement de la loi d’extradition par le gouvernement, l’auteur témoigne des nombreux enjeux qui se jouent entre les manifestants et les forces de l’ordre. Contre le déploiement de systèmes de surveillance de plus en plus sophistiqués, « l’appareil photo devient un réel outil de luttes » précise-t-il.

© Thaddé Comar

L’anonymat est la règle

Après avoir intégré des groupes Whatsapp de journalistes, il rejoint des groupes Telegram de manifestants. Mouvements de foules, gaz lacrymogènes, brouhaha général… Photographier relève d’un vrai défi dans ces situations complexes et incertaines. L’artiste s’équipe et travaille dans l’urgence. « Une fois qu’on est à l’aise, il n’y a plus qu’à faire des images, et tester ses propres limites. C’est de l’adrénaline finalement, et au fur et à mesure, on y prend goût », raconte Thaddé Comar. Indispensables, les photographes jouent un rôle crucial dans ces manifestations. « Ils forment un bloc qui “protège” les manifestants. Leur présence empêche les forces de l’ordre de réprimer de manière disproportionnée. Ils sont plus ou moins garants d’un déroulement “dans les règles” », souligne-t-il.

Au cœur de ces soulèvements, l’anonymat est la règle. « Les militants sont devenus extrêmement prudents et craintifs à l’égard des appareils de captations », raconte Thaddé Comar. Thématique récurrente pour toute personne ayant photographié ces évènements, elle devient cruciale pour l’artiste. « Depuis quelques années les manifestations sont devenues une sorte de théâtre médiatique ou les images se multiplient. Chaque faiseur d’images doit se fixer des limites quant à la diffusion des visages », poursuit-il. Composant avec cette contrainte, il décide de photographier les individus totalement anonymisés. En résulte une série de portraits étonnement hétérogène, où l’individualité de chacun se révèle à travers l’inventivité de leurs masques.

© Thaddé Comar© Thaddé Comar

Fictionnaliser les récits pour ne pas s’incriminer

Contrairement aux journalistes présents pendant ces soulèvements, son approche est personnelle et artistique. Son objectif ? « Explorer une esthétique symbolique et intemporelle qui appréhende la réalité, à travers les échos d’une multiplicité d’images singulières », avance l’auteur, cherchant à épurer son travail de tous les codes du photojournalisme. En capturant lasers, canons à eau, et autres ingénieries, il parvient à trouver une certaine poésie dans ces moments pourtant chaotiques. Un caractère onirique, qu’il célèbre dans le titre de sa série, How was your dream ? « C’est une formule que les manifestants utilisent pour parler de leurs expériences de manifestations. C’est une manière de fictionnaliser les récits pour ne pas s’incriminer », poursuit-il, soulignant la beauté de cette expression.

Les notions de fiction et de rêve, au cœur des pensées révolutionnaires, épousent son récit et orientent sa recherche. « Mon travail sous-entend cette idée de rêve. La possibilité de l’idéal et de l’utopie, mais aussi du cauchemar, du désenchantement, de la dystopie. Des thématiques intimement liées à l’insurrection, et aux espérances portées par ce mouvement », conclut le photographe, depuis grandement attaché à cette ville, et aux personnes qu’il a pu y rencontrer. Thaddé Comar navigue au cœur de l’action avec légèreté, et analyse les rapports de force déployés pendant les insurrections modernes.

© Thaddé Comar

© Thaddé Comar© Thaddé Comar

© Thaddé Comar© Thaddé Comar

© Thaddé Comar© Thaddé Comar

© Thaddé Comar

© Thaddé Comar© Thaddé Comar

© Thaddé Comar

© Thaddé Comar© Thaddé Comar

© Thaddé Comar

© Thaddé Comar, How was your dream ?

Explorez
Le ministère de l’Aménagement du territoire fête les 80 ans de la Libération
Megapolis, Puteaux, 2025 © Aleksander Filippov
Le ministère de l’Aménagement du territoire fête les 80 ans de la Libération
À l’occasion des 80 ans de la Libération, les ministères de l’Aménagement du territoire et de la Transition écologique ont lancé...
08 septembre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Les coups de cœur #558 : Marina Viguier et Emma Tholot
Carmela, série Carmela © Emma Tholot
Les coups de cœur #558 : Marina Viguier et Emma Tholot
Marina Viguier et Emma Tholot, nos coups de cœur de la semaine, explorent la théâtralité comme outil de résistance, de liberté et de...
08 septembre 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Les images de la semaine du 1er septembre 2025 : le pouvoir des images
© Julie Wintrebert, Crazy Beaches, 2024 / courtesy of the artist and festival Les Femmes et la mer
Les images de la semaine du 1er septembre 2025 : le pouvoir des images
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, pour la rentrée, les pages de Fisheye se mettent au rythme du photojournalisme, des expériences...
07 septembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Prix Viviane Esders : éclairer des trajectoires photographiques
© Bohdan Holomíček
Prix Viviane Esders : éclairer des trajectoires photographiques
Créé en 2022, le Prix Viviane Esders rend hommage à des carrières photographiques européennes souvent restées dans l’ombre. Pour sa...
06 septembre 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Nos derniers articles
Voir tous les articles
InCadaqués Festival : Lieh Sugai remporte le Premi Fotografia Femenina 2025
© Lieh Sugai
InCadaqués Festival : Lieh Sugai remporte le Premi Fotografia Femenina 2025
Le Premi Fotografia Femenina Fisheye x InCadaqués a révélé le nom de sa lauréate 2025 : il s’agit de Lieh Sugai. Composée de...
Il y a 8 heures   •  
Écrit par Apolline Coëffet
L'errance incarnée par Alison McCauley
© Alison McCauley, Anywhere But Here
L’errance incarnée par Alison McCauley
Avec Anywhere But Here (« Partout sauf ici », en français), Alison McCauley signe un livre d’une grande justesse émotionnelle. Par une...
10 septembre 2025   •  
Écrit par Milena III
Charlotte Yonga et les amours (im)possibles à Madagascar
(Tsy) Possible © Charlotte Yonga
Charlotte Yonga et les amours (im)possibles à Madagascar
Avec sa série (Tsy) Possible, Charlotte Yonga sonde les liens d’amour et de filiation dans la société malgache. Elle expose les dualités...
09 septembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
La sélection Instagram #523 : loup y es-tu ?
© Ecaterina Rusu / Instagram
La sélection Instagram #523 : loup y es-tu ?
Photographier signifie souvent montrer, dévoiler, révéler. Pourtant, il arrive que ce qui se trouve de l’autre côté de l’objectif ne...
09 septembre 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot