«The Hedonic Treadmill», le désir n’a pas de repos

14 mars 2022   •  
Écrit par Julien Hory
«The Hedonic Treadmill», le désir n'a pas de repos

Dans The Hedonic Treadmill, série aussi mystérieuse que son titre, Christian Michael Filardo explore le concept d’adaptation hédonique. Une réflexion qui nous conduit dans la quête infinie du bonheur, et questionne notre rapport au désir et à la nature.

C’est sous un intitulé bien énigmatique que Christian Michael Filardo a réalisé un recueil de photographies – un projet initié en 2020. Avec la série The Hedonic Treadmill (tapis roulant hédonique, NDLR), l’artiste philippin installé à Brooklyn propose un ensemble original qui interpelle le spectateur. Influencé par le cinéma, la poésie et la peinture, il s’est inspiré ici des réflexions du philosophe britannique David Pearce. Chancre du transhumanisme et de l’impératif hédoniste, Pearce croît en une exigence morale selon laquelle les êtres humains doivent travailler à la réduction de la souffrance pour tous les organismes sensibles (un sujet que l’on retrouve en partie dans plusieurs œuvres de Michel Houellebecq).

« The Hedonic Treadmill est une recherche autour des théories philosophiques transhumanistes, explique Christian Michael Filardo. Au plus fort de l’épidémie de Covid-19, j’étais curieux de connaître la relation humaine au bonheur et comment le représenter visuellement ». Le transhumanisme est un courant de pensée selon lequel les capacités de l’être humain pourraient être accrues grâce au progrès scientifique et technique (notion proche de l’être humain augmenté évoqué par Günther Anders dans L’Obsolescence de l’Homme). Tout un programme qui semble se détacher quelque peu des préoccupations de l’artiste que nous vous présentons aujourd’hui. Et pourtant…

© Christian Michael Filardo© Christian Michael Filardo

Adaptation hédonique

Qu’est-ce donc que ce mystérieux tapis de course hédonique ? Il ne s’agit évidemment pas d’un escalator vers un paradis caché, mais d’une tendance étudiée par des chercheurs en psychologie positive. Remise au goût du jour par les psychologues Philip Brickman et Donald Campbell, l’adaptation hédonique fait référence à notre capacité à revenir à un niveau de bonheur normal en dépit des événements positifs ou négatifs qui nous arrivent.  C’est cette même logique qui, dès 1621, dans Anatomie de la mélancolie, a inspiré à l’écrivain anglais Robert Burton, la phrase suivante : « Le désir n’a pas de repos, il est infini en soi, sans fin, et certains l’ont décrit comme une crémaillère perpétuelle ou un moulin à chevaux. » On comprend donc mieux ce qui, pour certains, lie transhumanisme et adaptation hédonique. Le premier serait un moyen, un outil, pour accéder à la seconde. Les progrès que la technologie et la médecine ont apportés ces récentes années pourraient valider cette corrélation si nous faisions abstraction des milliers de victimes des drames que nous connaissons ces dernières décennies. Et si, par exemple, les vaccins à ARN faisaient de nous des êtres humains augmentés ?

© Christian Michael Filardo© Christian Michael Filardo

La nature, la reine de l’adaptabilité

C’est peut-être cette adaptabilité et cette quête incessante du bonheur que l’auteur a tenté de traduire dans The Hedonic Treadmill. Au sein de ce corpus d’images se mêlent l’étrange, l’immédiat, les coïncidences et surtout la nature, omniprésente dans la série de Christian Michael Filardo. « La nature et le hasard du quotidien jouent un rôle très important dans ma pratique, confie-t-il. Je suis accro à la marche et si je suis à l’intérieur, on peut généralement me voir faire les cent pas. Je ne peux pas rester assis. La nature est, pour moi, tout ce qui vaut la peine d’être vécu ». Et, par ailleurs, n’est-elle pas la reine de l’adaptabilité ?

Mais avant tout, The Hedonic Treadmill est une sorte d’auto-analyse de son auteur. Adepte de la méditation, mais à l’écoute des maux du monde, il demeure pragmatique et tente un dépassement de soi par sa pratique artistique. « La survie et la persévérance sont tout pour un artiste. Si vous ne persistez pas, votre œuvre s’efface jusque’à disparaître dans le temps. C’est difficile. Dans ma discipline, la souffrance est tout aussi importante que le bonheur. Bien que je ne cherche pas cette douleur, j’essaie d’être clément quand elle surgit ». Une déclaration qui donne à réfléchir. Et si le chemin emprunté par Christian Michael Filardo vous paraît tortueux, dîtes-vous que c’est le sien et trouvez le vôtre. Bonne route !

© Christian Michael Filardo© Christian Michael Filardo
© Christian Michael Filardo© Christian Michael Filardo
© Christian Michael Filardo© Christian Michael Filardo

© Christian Michael Filardo

Explorez
La sélection Instagram #499 : déchirure du corps et du cœur
© Raphaëlle Foulon / Instagram
La sélection Instagram #499 : déchirure du corps et du cœur
Les artistes de notre sélection Instagram de la semaine sondent les blessures du corps, du cœur et de l’âme. Ils dévoilent les larmes...
25 mars 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Dans l’œil de Sarfo Emmanuel Annor : l’affrontement entre parole et silence
© Sarfo Emmanuel Annor, courtesy of the artist and The Bridge Gallery
Dans l’œil de Sarfo Emmanuel Annor : l’affrontement entre parole et silence
Cette semaine, nous vous plongeons dans l’œil de Sarfo Emmanuel Annor, photographe ghanéen exposé à The Bridge Gallery, dans le...
24 mars 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les coups de cœur #537 : Clémentine Scholz et Catia Simões
© Clémentine Scholz
Les coups de cœur #537 : Clémentine Scholz et Catia Simões
Clémentine Scholz et Catia Simões, nos coups de cœur de la semaine, dessinent les contours du corps humain sur leurs images. Si la...
24 mars 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Taras Bychko : un patchwork d’instantanés pour définir l’émigration 
© Taras Bychko
Taras Bychko : un patchwork d’instantanés pour définir l’émigration 
Dans Where Paths Meet, Taras Bychko compose un patchwork d’instantanés et d’émotions pour définir les contours de l’émigration. Pour ce...
13 mars 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Finalistes du prix Découverte Fondation Roederer : ébranler l'histoire officielle
Sans titre, 2023. Série Patria Nostra © Julie Joubert. 2023-2024. Avec l’aimable autorisation de l’artiste. Prix Découverte 2025 Fondation Louis Roederer - L’assemblée de ceux qui doutent. Présenté par L’Hôtel Fontfreyde – Centre Photographique, Clermont-Ferrand, France.
Finalistes du prix Découverte Fondation Roederer : ébranler l’histoire officielle
Pour la deuxième année consécutive, les sept finalistes du prix Découverte Fondation Roederer des Rencontres d’Arles seront exposé·es...
25 mars 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
La sélection Instagram #499 : déchirure du corps et du cœur
© Raphaëlle Foulon / Instagram
La sélection Instagram #499 : déchirure du corps et du cœur
Les artistes de notre sélection Instagram de la semaine sondent les blessures du corps, du cœur et de l’âme. Ils dévoilent les larmes...
25 mars 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Le prix Roger Pic 2025 récompense Véronique de Viguerie pour sa série sur les Afghanes
Kaboul, le 26 octobre 2022. Des étudiantes en journalisme à l'université de Kaboul font une pause. Elles ne savent pas que quelque trois semaines plus tard, l'Emirat leur interdira l'accès à l'université. © Véronique de Viguerie, Cnap, prix Roger Pic
Le prix Roger Pic 2025 récompense Véronique de Viguerie pour sa série sur les Afghanes
Le jury du prix Roger Pic vient de révéler le nom de la lauréate de son édition 2025 : il s’agit de Véronique de Viguerie. Sa série...
24 mars 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Dans l’œil de Sarfo Emmanuel Annor : l’affrontement entre parole et silence
© Sarfo Emmanuel Annor, courtesy of the artist and The Bridge Gallery
Dans l’œil de Sarfo Emmanuel Annor : l’affrontement entre parole et silence
Cette semaine, nous vous plongeons dans l’œil de Sarfo Emmanuel Annor, photographe ghanéen exposé à The Bridge Gallery, dans le...
24 mars 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet