Une coutume qui dérange

10 avril 2019   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Une coutume qui dérange

Dans le cadre du festival Circulation(s), Dina Oganova présentera Frozen Waves, une série poignante et poétique, dénonçant une coutume géorgienne : les enlèvements de jeunes filles.

Dans les années 1990, alors qu’elle n’est encore qu’une petite fille, Dina Oganova découvre la photographie. À cette époque, sa mère louait, chaque été, une chambre dans une maison appartenant à un photographe. « Je passais mon temps à jouer au foot et aux voitures avec les garçons, mais lorsque j’ai découvert le travail de cet homme, je me suis mise à l’attendre tous les jours, devant la porte de sa chambre noire », se souvient-elle. D’origine géorgienne, Dina Oganova est profondément influencée par l’histoire et la culture de son pays. Dans Frozen Waves, elle construit un récit intime et touchant, inspiré d’une coutume révoltante.

« Ma grand-mère a été kidnappée par mon grand-père lorsqu’elle était jeune. Ils ont eu trois enfants, et ont vécu toute leur vie ensemble, raconte l’auteure. J’ai donc grandi avec ces récits. Autour de moi, j’entendais sans arrêt des nouvelles histoires de kidnapping. Petite, je n’ai jamais compris la gravité de cette coutume : lorsque les hommes enlèvent des femmes, ils les éloignent de leur famille, et les cachent dans une forêt, ou un village. Ils les violent, et, la perte de leur virginité les rend honteuses, indignes de leurs familles… alors, elles restent. » Des mariages forcés considérés comme un « rituel amoureux » en Géorgie.

Monochrome intimiste

En 2014, Dina Oganova s’est liée d’amitié avec une jeune fille de 16 ans. Surprise, elle apprend que l’adolescente s’apprête à se marier avec son bourreau. « C’est à ce moment-là que j’ai décidé de travailler sur ce sujet. J’ai alors commencé à rechercher des jeunes femmes qui accepteraient de témoigner », précise la photographe. Frozen Waves illustre les récits de ces victimes. Dans un monochrome intimiste, les symboles se dévoilent, et la poésie se mêle à la violence. Les visages ne sont jamais entièrement révélés, offrant un anonymat réconfortant aux modèles de Dina Oganova. « Lorsque les jeunes filles m’emmenaient sur les lieux des kidnappings et des viols, je ramassais des fleurs, des feuilles de ces endroits, pour les utiliser – une manière de faire ressentir au regardeur l’ambiance de ces territoires », ajoute l’artiste. Un conte sensoriel, aussi beau que glaçant.

« L’année dernière, le gouvernement géorgien a fait passer une loi punissant les hommes responsables de ces enlèvements. Je ne sais pas si mes photographies ont joué un rôle dans cette décision, mais j’en serais très heureuse », confie l’auteure. Pourquoi cette coutume existe-t-elle encore ? Comment se reconstruire après un tel traumatisme ? En créant des images énigmatiques et texturées, Dina Oganova donne à voir la complexité du sujet. Un récit subtil, sublimé par les nuances de gris des clichés.

© Dina Oganova

© Dina Oganova

© Dina Oganova

© Dina Oganova© Dina Oganova

© Dina Oganova© Dina Oganova© Dina Oganova© Dina Oganova© Dina Oganova© Dina Oganova© Dina Oganova

© Dina Oganova

Explorez
La sélection Instagram #532 : dans les méandres de la mémoire
© celluloidjournal / Instagram
La sélection Instagram #532 : dans les méandres de la mémoire
Les artistes de notre sélection Instagram de la semaine sondent les mystères de la mémoire. Ils et elles exhument les souvenirs qui...
11 novembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les coups de cœur #565 : Jeanne Narquin et Émilie Brécard
© Jeanne Narquin
Les coups de cœur #565 : Jeanne Narquin et Émilie Brécard
Jeanne Narquin et Émilie Brécard, nos coups de cœur de la semaine, s’intéressent toutes les deux à la féminité. La première photographie...
10 novembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
L’intimité au cœur de Planches Contact Festival 2025
© Carline Bourdelas / Planches Contact Festival
L’intimité au cœur de Planches Contact Festival 2025
Jusqu’au 4 janvier 2026, la 16e édition de Planches Contact Festival anime Deauville et propose une diversité de regards sur un même...
08 novembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
5 questions à Charlotte Abramow : le souvenir de Maurice
© Charlotte Abramow
5 questions à Charlotte Abramow : le souvenir de Maurice
Sept ans après la publication de son ouvrage Maurice, tristesse et rigolade, Charlotte Abramow rouvre les pages de l’histoire de son...
03 novembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Paris Photo 2025 : atteindre sa montagne intérieure avec Suwon Lee
© Suwon Lee, Pico Bolívar I, 2025 / Courtesy of Sorondo Projects
Paris Photo 2025 : atteindre sa montagne intérieure avec Suwon Lee
Présentée cette année par Sorondo Projects (Barcelone) à Paris Photo, la série The Sacred Mountain de Suwon Lee raconte une quête...
Il y a 2 heures   •  
Écrit par Milena III
Yves Samuel : Objets en résistance
© Yves Samuel courtesy CLAIRbyKhan
Yves Samuel : Objets en résistance
Dix ans après les attentats perpétrés à Paris en novembre 2015, le photographe Yves Samuel publie aux Éditions Fisheye un livre tout en...
13 novembre 2025   •  
Écrit par Eric Karsenty
La précieuse fragilité selon le festival FLOW#1
Les Fossiles du futur, Synesthésies océaniques © Laure Winants, Fondation Tara Océan
La précieuse fragilité selon le festival FLOW#1
Du 20 septembre au 30 octobre 2025 s’est tenue la première édition de FLOW, un parcours culturel ambitieux imaginé par The Eyes...
13 novembre 2025   •  
Écrit par Fabrice Laroche
Une fable collective au cœur du béton, par Alexandre Silberman
© Alexandre Silberman, Nature
Une fable collective au cœur du béton, par Alexandre Silberman
Exposée à la galerie Madé, dans le cadre de PhotoSaintGermain, jusqu’au 30 novembre 2025, la série NATURE d'Alexandre Silberman...
12 novembre 2025   •  
Écrit par Milena III