Jusqu’au 17 juillet, Létizia Le Fur expose « L’âge d’or » à la Galerie Laure Roynette – le second chapitre de son travail au long cours Mythologies. En suivant l’allure statuesque d’un homme nu à travers des paysages irréels, l’artiste nous envoûte dans une explosion de couleurs.
« Ma photographie est le reflet des images qui peuplent mon imaginaire, celles que j’aimerais voir »
, raconte Létizia Le Fur. Sorties tout droit d’un rêve éveillé et prenant racine dans les souvenirs d’une enfance rythmée par des récits fantastiques, ses œuvres visuelles fleurissent comme autant de merveilles oniriques. Fictionnel, sensible et habité par une fascination pour la nature, son travail invite à l’aventure – une épopée romanesque évoquant les mythologies grecques et latines qui ont forgé notre culture européenne. D’abord formée à la peinture aux Beaux-Arts, la photographe dit avoir été « sans doute paralysée par le poids d’une histoire de l’art si riche ». C’est dans le 8e art qu’elle découvre sa voie, encouragée par sa professeure Valérie Belin. « La photographie est finalement le médium qui me permet le mieux d’exprimer ma sensibilité, tout en y mêlant ce que j’ai appris en peinture comme le soin de la composition et le travail des couleurs », précise-t-elle.
« La photographie me permet d’inventer des paysages, des personnages dans des mondes qui n’existent pas, de m’approcher de mes images mentales et de m’éloigner de la réalité », reconnaît Létizia Le Fur. Avec Mythologies, l’artiste confronte sa propre sensibilité aux récits antiques et dévoile une œuvre emprunte des textes anciens, réactualisés à l’ère de la modernité. Tout comme le compositeur allemand Richard Wagner, et les autres penseurs romantiques du 19e siècle, la photographe puise son inspiration dans une vision idyllique de la Grèce – berceau de la philosophie occidentale. « Ma réflexion sur l’éloge de la beauté est un travail global dans lequel s’inscrivent plusieurs séries. Je tente de m’approcher le plus possible de l’harmonie et de l’équilibre dans un monde presque irréel. Comme un havre esthétique en réponse à la laideur et à l’inapproprié, comme l’explique si bien Laura Serani dans la monographie Mythologies qui vient de sortir », poursuit-elle.
Notre place et notre souveraineté dans le monde
Travail en cours, Mythologies se divise en trois chapitres qui illustrent les trois temps phares d’un récit en construction. D’abord, il y a « L’origine ». Les éléments éparpillés s’ordonnent pour former le monde. « J’y montre des paysages hostiles, bruts, mystérieux où l’homme n’occupe qu’une petite place fragile », explique Létizia Le Fur. Cela correspond aussi à la genèse de son projet. Ensuite, il y a « L’âge d’or », l’ère où les hommes, les dieux et la nature existent en parfaite harmonie. « À la fois la nostalgie d’un passé révolu et la promesse d’un meilleur lendemain, avance l’artiste. Elle résonne à la fois avec la période que nous vivons et correspond de façon plus personnelle à une période d’épanouissement à travers ce projet ». Enfin, « Les métamorphoses », d’après le poème d’Ovide. « C’est un thème qui m’intéresse, car il fait écho à ce magnifique pouvoir d’adaptation dont l’homme a fait preuve tout au long de l’histoire et aujourd’hui encore. C’est également un moment de transformation dans ma propre recherche. » Pas encore achevé, ce dernier volet sera exposé en partie à la prochaine édition du Festival InCadaquès.
Et présentée jusqu’au 17 juillet, à la Galerie Laure Roynette, « L’âge d’or » confronte la figure humaine à la nature. « J’ai introduit la figure humaine pour donner une dimension narrative à ce travail. Un homme nu qui ère à travers la terre. J’aime cette confrontation, tantôt puissante, tantôt fragile face à une nature omniprésente, voire envahissante, explique l’artiste. Il compose avec elle, se modèle jusqu’à se fondre finalement dans ces paysages. En revêtant parfois l’apparence de personnages mythiques, la figure humaine interroge nos origines, notre place et notre souveraineté dans le monde ». Tel un héros fantastique, ce personnage découvre, avec nous, un monde effervescent et encore inconnu.
Tout en délicatesse
À la manière d’une peintre, Létizia Le Fur infuse ses compositions de couleurs vives et assumées. En postproduction – et tout en délicatesse – elle colorise, isole, transforme et corrige ses prises de vue afin d’arracher la nature observée au réel. Alors, la terre disparaît sous nos pieds et nous voilà transportés au-delà du monde, où cet homme innommé nous invite à le suivre. Là, avec un noir charbon et presque hypnotique, les montagnes se dressent par leurs silhouettes imposantes dans les paysages et nous plongent dans la méditation. Ici, la végétation s’imprègne de teintes acidulées et flirte avec nos sens. Et au milieu, la chair ardente du corps masculin, sculpté à la manière d’un dieu grec, fait vibrer l’environnement qui l’entoure. « Les couleurs jouent un rôle prépondérant dans mon travail, elles sont parfois le déclencheur d’une image et très souvent sont totalement travaillées a posteriori de façon à correspondre aux couleurs que j’ai imaginées en prenant l’image », poursuit-elle.
Par une maîtrise très personnelle des outils numériques, Létizia Le Fur nous baigne dans l’imaginaire d’une nature mystérieuse, vacillant entre passé et présent, à l’image de sa propre personnalité. Sujet véritable, premier et dernier, la nature est omniprésente… Tout autant qu’elle est insaisissable. « La nature est mon protagoniste. Je l’imagine et la souhaite puissante, inquiétante, mais aussi accueillante et réconfortante. Je ne sais pas si je cherche à provoquer quoi que ce soit, mais j’aimerais que le spectateur ait envie d’habiter ces paysages », avance-t-elle. Une invitation modeste, mais difficile à refuser, tant ses images nous envahissent et nous ensorcellent – et vont jusqu’à pénétrer nos songes nocturnes. « Plusieurs personnes m’ont raconté avoir fait des rêves qui se déroulaient à l’intérieur de mes images », avoue l’autrice. Avec L’âge d’or, Létizia Le Fur signe une œuvre sincère et délicate, nous appelant à l’évasion, et nous incitant au rêve.
L’âge d’or © Létizia Le Fur