Andrew Waits, photographe américain, s’intéresse aux questions sociales et environnementales. Dans sa série Aporia, il traite de l’urbanisation rapide des villes et nous emporte dans un univers onirique et futuriste. Entretien avec l’artiste.
Fisheye : Tu nous racontes ta première expérience avec la photographie ?
Andrew Waits : Je n’ai jamais pris de photographies dans mon enfance, ce n’était pas quelque chose que nous avions l’habitude de faire, autour de moi. À 22 ans, alors que je venais d’obtenir ma licence, on m’a offert un cadeau : mon premier boîtier. Il m’a ouvert les portes d’un monde que je n’avais jamais visité avant. C’était une sorte de clé, qui me permettait d’entrer dans toutes les pièces et de me faufiler n’importe où.
Tu aimes ce contact direct avec le monde ?
Oui, vraiment. Jusqu’à ce moment là, j’écrivais beaucoup de dissertations, j’étais un théoricien. Je me souviens avoir assisté à une conférence à Stanford, peu après, où je voyais très clairement un clivage entre les académiques et ceux qui allaient sur le terrain, et mettaient la théorie en pratique. Ce contraste m’a fait réaliser que je voulais passer ma vie à vivre de nouvelles expériences. Finalement, la photographie s’est présentée à moi au bon moment.
Qu’est-ce qui influence ta photographie ?
Je dirais qu’elle a évolué au fil des années, en parallèle de mes études, de mon expérience et de mes centres d’intérêt. J’ai commencé la photo en réalisant des projets strictement documentaires. Je voulais raconter des histoires et me faire comprendre, et je faisais finalement plus attention aux textes qu’aux photographies. Ces dernières années, mon travail est devenu moins traditionnel, mais il est toujours orienté par mes recherches : la littérature – de fiction ou non – le cinéma et l’histoire.
De quoi parle Aporia ?
C’est une étude sur les conséquences psychologiques du changement de l’environnement urbain. Cette rapidité à laquelle les lieux se modifient marque les esprits. La série construit un univers onirique qui emporte le public à travers les différentes étapes de ce « progrès ».
C’est donc une série autour de l’urbanisation ?
Oui. La ville dans laquelle j’ai grandi a été transformée par l’urbanisation et la gentrification. C’est donc un sujet qui me tient à cœur, et que j’ai pu observer de mes propres yeux. Cependant, je ne souhaitais pas documenter cette métamorphose de manière directe. Influencé par la lecture de l’œuvre de Guy Debord – un écrivain, théoricien et révolutionnaire français, opposé à la société de classes – j’ai choisi de représenter, dans Aporia, l’illustration d’un conflit interne, provoqué par la destruction et la reconstruction du milieu urbain.
La série est entièrement en noir et blanc, peux-tu nous expliquer ce choix ?
C’est une décision étrange, car il y a trois ans, je pensais que je ne travaillerais jamais en noir et blanc. Depuis, j’apprécie de plus en plus cette esthétique. Les débuts d’Aporia étaient réalisés en partie en couleur, mais plus la série se développait, plus le noir et blanc s’imposait. Il sublime les différents types d’architecture, et accentue les contrastes entre l’organique et l’inorganique. Et puis, l’absence de couleur accentue l’aspect fictif et sombre de mon travail
Une fiction qui évoque la science-fiction. Pourquoi ?
On peut en effet noter plusieurs références dans Aporia, notamment à Big Brother, ou encore à la tyrannie de la technologie. Ce sont des classiques de la science-fiction. Mais de nos jours, ces éléments dystopiens sont utilisés dans des discours, pour expliquer les problèmes de notre société et blâmer un petit groupe de personnes. Mon objectif était donc d’utiliser ces éléments pour exprimer mon opinion : les inégalités sociales ne sont pas la cause d’un seul groupe d’individus. Nos problèmes sont complexes. En utilisant des références aussi évidentes, je me moque de cette rhétorique réductrice.
© Andrew Waits