Avec Écosystèmes, Chloé Milos Azzopardi écrit un conte futuriste, mêlant explorations psychologiques et questionnements écologiques. Une œuvre sensible où nature rime avec poésie. Cet article est à découvrir dans notre dernier numéro.
Archées, protistes, nématodes ou annélides… « On ne connaît même pas tous les vivants qui peuplent notre planète, lance Chloé Milos Azzopardi. On leur accorde d’ailleurs très peu d’importance politiquement. Il n’y a qu’à regarder les débats lors de la dernière élection présidentielle… Pourtant, la biomasse des plantes, des champignons, des archées, ou encore des mollusques est plus importante que celle des êtres humains. » En plus de restaurer cette curiosité pour le vivant avec lequel on cohabite et qu’on ne connaît que trop peu, l’artiste française milite pour un nouvel équilibre et une abolition de toute forme de domination. « Pendant longtemps, la philosophie occidentale a tout fait pour séparer l’humain du reste des espèces, la nature de la culture, au point de penser que l’humain se situait au-dessus de la sphère du vivant, voire en dehors. J’essaie d’être la plus ouverte possible à la multitude, de sentir l’altérité et de créer des passerelles. J’essaie de photographier en me disant que si je vois, je suis vue aussi. Plus qu’un langage, il s’agit d’une forme d’échange, de réciprocité. »
Le chapitre « Écosystèmes » s’inscrit dans une série au long cours intitulée Les Formes qu’ils habitent en temps de crise. Un projet intime. Durant dix années, de ses 16 à ses 26 ans, Chloé Milos Azzopardi a traversé des crises de dissociation et de dépersonnalisation. « Il s’agit de réponses psychologiques à la suite de traumas. Les personnes qui en souffrent peuvent ne plus sentir leur corps, être déconnectées de leurs émotions et de leurs sensations. Parfois, je ne reconnaissais même plus mon visage ni mon nom. Pour revenir petit à petit à la réalité, je me suis mise à observer intensément mon environnement, à essayer de ressentir les sensations des vivants qui m’entouraient, que ce soit des plantes, des insectes, des roches, des animaux… », explique la jeune femme. Aujourd’hui, elle puise son inspiration dans l’astronomie et l’éthologie, et continue de capturer la sympathie et l’étrangeté des vivants qui évoluent autour d’elle.
Violences en tout genre, catastrophes politiques et environnementales, repli sur soi… Certains annoncent le retour du mal du siècle. Loin de la mélancolie romantique, Chloé Milos Azzopardi développe une fable futuriste, et traduit en images ce que pourrait être le postcapitalocène – ère géologique suivant le capitalisme marquée par de forts déséquilibres environnementaux. Tout comme la philosophe américaine Judith Butler, auteure de Vie précaire. Les pouvoirs du deuil et de la violence après le 11 septembre 2001 (Éd. Amsterdam, 2005), la photographe rêve à une société reposant sur « la reconnaissance de nos vulnérabilités et de nos interdépendances, et sur une nouvelle éthique de la non-violence qui protégerait tout le vivant ». Repenser le système économique et social actuel tout en aimant le vivant fragile et mortel… Un beau programme !
Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #54, disponible ici.
© Chloé Milos Azzopardi