Avec Arboreal, la photographe Virginia Wilcox portraitise un Los Angeles inédit naviguant entre ville et nature. Publiée aux éditions Deadbeat Club, cette première monographie questionne les enjeux de l’urbanisation et la place de l’homme dans son environnement.
Los Angeles, une des vingt plus grandes villes du monde. Près de quatre millions d’habitants partagent un peu plus de 13 000 km2. Par sa démesure et son histoire, cette cité offre à elle seule une idée du genre humain, de son génie et de sa folie. Berceau du cinéma hollywoodien, elle est encore le théâtre de tous les décors. Si, en ses murs, elle a su nourrir l’imaginaire de générations de spectateurs et de visiteurs, elle est aussi représentée à l’envie. Portraitiser une métropole aussi tentaculaire n’est pas aisée. Il faut par accommodements la découper, choisir ses endroits, son thème et son heure. En somme, il faut la morceler et la mutiler tant qu’on finirait par la dénaturer. Réconcilier Los Angeles à la nature pourrait, au premier regard, sembler être l’ambition originelle de Virginia Wilcox.
Arboreal, une série réalisée par la photographe américaine dans les grands parcs de la cité des anges, propose une alternative. Dans cette série, elle dresse le tableau d’une réalité où le végétal et le béton se répondent, se dominent et se respectent, comme une guerre entre la volonté des hommes et l’immuable sens de la vie. Par la force du vivant, les images de Virginia Wilcox donnent à voir une autre conception d’une architecture organique. « Je parcourais les parcs de la ville, en errance, se souvient-elle. Allant des petits squares aux étendues sans fin qui surplombent la ville, je suis devenue fascinée par la tension qui existe entre une nature sauvage et les irruptions d’éléments modernes comme les voies en béton, les égouts, les ordures… les évocations de cette ville. »
Le monde a changé
Dans les grandes lignes, les recherches opérées ici par Virginia Wilcox ne sont pas sans rappeler les travaux réalisés par les photographes qui participèrent à la New Topographics. En 1975, aux États-Unis, cette exposition réunissait des artistes ayant comme point commun de se concentrer sur les paysages contemporains. Il faut entendre par là une somme de lieux à l’origine vierge, et dont l’intervention humaine a modifié intrinsèquement les contours visibles. « La New Topographics m’a beaucoup inspirée, explique l’auteure. J’ai été particulièrement influencée par Robert Adams et Joe Deal. Le sujet central d’Arboreal est la poussée et l’attraction constantes entre le naturel et le bâti. Mais plusieurs décennies après, cette relation s’est endurcie. Le monde a changé, il est de plus en plus dense et développé. »
Oui, le monde a changé. Cette terre n’est plus et ne sera jamais celle d’avant. Ces évolutions successives peuvent ramener à nos conditions. Très justement, Virginia Wilcox souligne un point essentiel qui relativise son rapport à la New Topographics. Il n’y a pas si longtemps, la grande majorité de la photographie institutionnelle était « une affaire d’homme », peu de femmes avaient leur place dans les arcanes du 8e art (rappelons que beaucoup ne voyaient en la talentueuse et courageuse Gerda Taro, écrasée par un char fasciste dans l’exercice de son métier, photojournaliste, que la compagne de Robert Capa). La photographe le confie : « Lorsque je travaillais dans ces parcs, j’étais seule et isolée. Dans l’obscurité du tissu sombre qui me couvrait, je restais à l’affut du moindre bruit pour me prévenir du danger. Je pense que cette vulnérabilité féminine se ressent dans mes images.»
Un labyrinthe brut et inquiétant
À l’instar des mécanismes instaurant la présence d’un prédateur dans les mises en scène filmiques, l’auteure observe à travers les parois de feuilles les proies qu’elle va saisir. Au-delà d’un Los Angeles devenu presque mouvant, les rares silhouettes qui apparaissent dans Arboreal sont des hommes. Une manière pour elle de renverser l’objectivité supposée de son boitier et d’en faire un miroir déformant. « Les deux seuls vrais sujets humains sont des hommes. Une partie de moi était intéressée de les exposer en réponse à la façon dont eux se sont approprié l’histoire. » Dans ce dédale d’arbres, de branches et d’apparitions étonnantes, Virginia Wilcox construit un labyrinthe tout à la fois brut et inquiétant. C’est sans doute pour cela que ses doutes intérieurs font écho à la fantasmagorie que ces paysages nourrissent en elle.
« En réalisant ces images, analyse la photographe, j’étais aussi attirée par les traces que les gens de passage ont pu laisser. Une parcelle de terre brûlée, un sac à main plaqué or abandonné retourné et vide… J’étais obsédée par l’idée de ce qui avait pu se tramer. Ce voyage dans ces espaces me donnait souvent l’impression de dérouler un fil d’Ariane. » Cependant, ne nous trompons pas, Arboreal est bien un travail avant tout formel auquel la profondeur s’ajoute par l’implication personnelle de l’artiste. Et, à son sens, s’il devait traduire l’expression d’un concept général, celui-ci relèverait plus des rapports de force. « Mes images montrent un monde de nantis comme de démunis. À travers eux surgissent les notions de propriété. Ils sont pareils à des commentaires sur les inégalités qui nous traversent. »
Arboreal, éditions Deadbeat Club, 40 $, 80 p.
© Virginia Wilcox