Après la mort de sa mère, la photographe Dimitra Dede a entrepris un périple, à la découverte des glaciers d’Europe. Un récit métaphorique à retrouver dans Mayflies, ouvrage sombre mêlant douleur et poésie.
À ses 18 ans, alors qu’elle se préparait à devenir ingénieur, Dimitra Dede fait l’acquisition d’un vieux Nikon F501, cadeau d’un ami réalisateur. « Mon univers s’est transformé et j’ai aussitôt décidé d’étudier la photographie », se souvient-elle. Aujourd’hui, l’artiste d’origine grecque est installée à Londres, et croise le médium avec d’autres arts, expérimentant avec les textures et les émotions. « Je combine l’image à la peinture, la sculpture ou la vidéo », précise-t-elle. À l’image de ces expérimentations, Mayflies prend la forme d’un récit froid, abstrait et torturé.
« Cet ouvrage se lit comme une réponse au décès de ma mère. Lors de son enterrement, je l’ai embrassé sur le front, comme il est coutume de le faire en Grèce, et j’ai été surprise par ce contact glacé, contrastant avec la chaleur du mois de juin », raconte-t-elle. Marquée par cette sensation, Dimitra Dede a débuté le même été un voyage à la découverte des glaciers d’Europe centrale. Un périple influençant profondément sa démarche artistique.
Un conte dramatique
« Le Glacier du Rhône, situé dans le canton du Valais en Suisse, m’a particulièrement marquée. Le gouvernement a fait installer des couvertures résistantes aux UV afin de ralentir sa fonte. Ces voiles m’ont immédiatement évoqué le linceul posé sur ma mère et son corps froid »,
confie Dimitra Dede. Dans ce paysage étrange, sombre et surnaturel, la photographe a trouvé une sorte de paix. En s’immergeant sous ces tissus, dans les grottes glacées, elle illustre avec pudeur la douleur, la perte et l’amour inconditionnel. « Tout cela fait partie du spectre de l’affection maternel : la chaleur, la protection, mais aussi la peur primitive, l’angoisse de la perte, et le besoin d’être guidée », explique-t-elle.
Dans ses clichés, aucun symbole, mais plutôt un désir de mettre en scène son intuition. Nature et corps fusionnent, habitant un univers sombre et douloureux. Les négatifs reflètent cette violence, et se transforment sous les « coups » de la photographe. « J’ai utilisé de l’acide, du feu, de la cire, je les ai coupés, creusés… C’était une expérience forte » confie-t-elle. Pourtant, malgré la brutalité des gestes, une poésie troublée émerge de Mayflies. Un conte dramatique, bercé par un imaginaire prégnant et une citation de Marcel Proust.
« Soyez inerte, attendez que la force incompréhensible qui vous a brisé vous relève un peu, je dis un peu car vous garderez toujours quelque chose de brisé. Dites-vous cela aussi car c’est une douceur de savoir qu’on n’aimera jamais moins, qu’on ne se consolera jamais, qu’on se souviendra de plus en plus. » – Marcel Proust
Mayflies, éditions Void, 42 €, 112 p.
© Dimitra Dede