Dans sa série This is Bliss, Jon Horvath nous emmène au cœur des campagnes de l’Idaho. Dans sa quête du bonheur, il livre un hommage sensible à une petite ville de l’ouest américain.
Les grandes autoroutes américaines n’ont pas fini d’alimenter l’imagerie populaire et les salles de cinéma. Elles se sont imprimées dans les esprits de nombreux spectateurs. Pourtant, c’est parfois en les quittant, en s’engageant dans des itinéraires bis, que des rencontres se font. C’est ce qui est arrivé à Jon Horvath. À un tournant de sa vie, il a pris la route et traversé l’ouest des États-Unis. En se détournant des chemins tout tracés, il a posé fortuitement le pied dans la petite ville de Bliss, dans l’Idaho. Commence alors un projet artistique qui a pris forme au fil du temps. « Ça s’est produit un peu par hasard, confie-t-il. Je conduisais à travers le pays et par une chaude journée, j’ai aperçu un panneau au milieu du désert indiquant Bliss. J’ai alors décidé de quitter l’autoroute. Je voulais voir à quoi pourrait ressembler le bonheur dans un endroit inconnu ».
La calme commune se perche sur une colline au-dessus de la rivière Snake, lieu prisé des photographes. Aux abords des champs en friche se dressent des granges délabrées et des caves à pommes de terre qui se transformeront en frites pour la population. Les cow-boys chevauchent leur monture et guident leur bétail au pâturage à travers la région. Les habitants se rassemblent aux bars Jenny ou Frank’s. Il se remplissent le ventre au Ziggy’s Gas and Grill. La vie est simple, mais pas simpliste. Le hameau est paisible, mais fier de son humble communauté. C’est à cette ville sans prétention et à ceux qui la vivent que This is Bliss rend hommage.
La rudesse des lieux
Conçue comme un projet transmédia, l’œuvre de Jon Horvath ne se cantonne pas à la photographie. L’artiste a donc joint à ses images des vidéos et des objets qui prennent place dans des installations. Son imagination semble sans limites tant cette ville a imprégné son cœur. « J’ai consommé ma première boisson alcoolisée, une bière, dans le Bliss Saloon. Elle m’a été servie par une femme qui se faisait appeler « Cinderella ». Pour honorer ce moment, j’ai demandé à un souffleur de verre de fondre la bouteille et de la remodeler sous la forme d’une pantoufle. » Une idée pour le moins originale qui révèle la sensibilité de l’auteur.
Mais c’est avant tout par le 8e art que la commune s’offre à nous. Dans sa quête du bonheur, au moment d’entamer une nouvelle vie, Jon Horvath capture des paysages, des portraits. Parfois des détails évocateurs suffisent à planter un décor. Il nous ouvrent ainsi les portes de Bliss. La rudesse des lieux est évidente. « Ce coin de l’Idaho est un peu plus accidenté que le reste de l’État, explique-t-il. Ce sont des étendues plus dures peuplées d’éleveurs et d’ouvriers agricoles. » Pourtant, This is Bliss nous fait voyager en dévoilant un univers où le temps semble s’être arrêté. « Bliss, n’a plus évolué depuis le milieu des années 1970, analyse Jon Horvarth. La construction des routes inter-états a dirigé la circulation loin des campagnes au lieu de les traverser. Par conséquent, une grande partie de l’économie locale a été affectée et la ville a connu un déclin démographique important. »
Un ensemble hétéroclite
N’étant pas originaire de la région, le photographe n’a pas souhaité s’éloigner des préjugés. Il a préféré en jouer. Dans cette contrée dont l’histoire est partie intégrante de celle du pays, il a jonglé entre la réalité et la fiction. « J’étais pleinement conscient que ma première impression serait influencée par les mythes, les stéréotypes, confie-t-il. Je pense que cela a eu un impact sur la façon dont j’ai abordé la partie photographique du projet. En fin de compte, mes images représentent la recherche de sérénité et pas un travail d’historien. » Une démarche qui fait de This is Bliss un ensemble hétéroclite, reflet de l’intériorité de l’auteur et de sa proximité avec le sujet.
De fait, la série proposée par Jon Horvath n’entre pas dans ce mouvement qui s’attache à documenter les zones rurales du Nouveau Monde. Pourtant, il n’ignore pas les particularités de ces territoires. Le rapport à l’environnement et la façon dont sont gérées les ressources ne sont naturellement pas les mêmes que dans les métropoles. Mais d’après le photographe, les campagnes tendent à s’uniformiser : « Je constate que les petites villes sont victimes de la standardisation. Les mêmes restaurants, les mêmes stations-service, les mêmes commerces… les modèles se répliquent. Il me semble y avoir de moins en moins d’authenticité d’un lieu à l’autre. » Par son regard, Jon Horvath a su faire de Bliss un endroit à part, comme suspendu dans un espace dans lequel il a pu exprimer sa liberté.
© Jon Horvath