« L’homme qui possède le temps, et qui accepte sa fuite, est un homme libre. »

17 février 2020   •  
Écrit par Anaïs Viand
« L’homme qui possède le temps, et qui accepte sa fuite, est un homme libre. »

En 2018, Maxime Antony, photographe français installé à Paris, s’est rendu en Mongolie. Une destination idéale pour qui s’interroge sur le rapport qu’entretient l’homme avec le temps. Rencontre, ou plutôt, introspection avec l’artiste voyageur auteur de la série Le Temps suspendu.

Fisheye : Photographe ou voyageur, qui es-tu Maxime ?

Maxime Antony : Je suis photographe et vidéaste. Né en 1994 dans la Drôme, je vis et travaille désormais à Paris, depuis presque 8 ans.

Les nouvelles aventures et les voyages sont pour moi des inspirations et des moteurs de création. Étant sensible et curieux, mes voyages permettent de m’ouvrir sur le monde, d’observer ce qui m’entoure et de partager ce que je regarde, ce que je vois, et ce que je ressens.

Quel lien entretiens-tu avec le 8e art ?

La photographie est pour moi une source infinie de bonheur. Le souvenir, la connaissance, la découverte, le désir, l’amour, la joie, la curiosité, la mélancolie, ou la surprise… Elle est un vecteur de sentiments et de sensations. Ma définition du bonheur ? Interagir avec le monde du sensible.

Je perçois ma pratique photo actuelle comme quelque chose de léger, d’aérien qui touche plusieurs domaines, styles, et approches. J’explore beaucoup afin de choisir, petit à petit, ce qui me correspond. J’accorde une attention particulière à la composition, et je m’oriente de plus en plus vers une pratique de plasticien. En parallèle, je développe depuis peu un intérêt prononcé pour la nature morte, que je pratique dès que je pose mes valises à Paris.

C’est enfin un outil idéal pour rendre hommage.

Le voyage, la nature… Quelles sont tes autres sources d’inspiration ?

Mes toutes premières sources d’inspirations sont les voyages, sans aucun doute. Le mouvement me fascine. Il me donne très certainement l’illusion d’un ralentissement du temps. J’accepte pleinement ce leurre, pour le moment. Ensuite, la nature m’invoque une sagesse et un côté surréaliste cotonneux que j’apprécie beaucoup. Enfin, l’humain m’apporte des histoires, de la fantaisie et de la complexité.

À ces aspects naturels s’ajoutent de grands photographes que j’admire profondément. Steve McCurry, Sebastião Salgado, Yann-Arthus Bertrand, Elliott Erwitt, Irving Penn, Robert Mapplethorpe et Man Ray sont ceux qui me guident le plus actuellement.

En peinture, le romantisme et le surréalisme sont des périodes qui m’intéressent. Salvador Dalí m’inspire depuis des années.

© Maxime Antony

Et pour ton projet Le temps suspendu ?

Pour ce projet, la nature fut ma première source d’inspiration. Arrive en seconde position la spiritualité et le mystère associés à ce pays qui m’ont accompagné tout au long de mon périple. Pour certaines photographies, imaginer le mariage de Yann-Arthus Bertrand et d’Irving Penn me semblait être drôle et intéressant.

Pourquoi la Mongolie ?

La Mongolie est un pays qui m’attirait depuis longtemps. Je m’y suis rendu en août 2018, durant un mois. J’ai atterri à Oulan Bator, la capitale, dans laquelle je suis resté deux jours. J’ai ensuite traversé le pays par le Nord, d’Est en Ouest, découvrant des villages et lacs sublimes parmi lesquels Arkhangai, Zavkhan, Bayan-Olgiy, Khövsglöl, le lac Tolbo, le lac Khyargas ou encore le lac Khövsgöl. Je voulais trouver, sentir, vivre le vide et le silence que j’associais aux steppes mongoles. Je voulais me reconnecter à mon moi intérieur.
Je voulais aussi me rapprocher de cette population et analyser leur relation au temps.

Et toi, quel est ton rapport au temps ?

Il est parfois complexe. Je me suis rendu compte que j’appréciais me créer des défis temporels. Je suis toujours en retard, mais souvent à l’heure. C’est-à-dire que je cours sans cesse après le temps. Il est si précieux et insaisissable. Je profite toujours du moment présent, de chaque minute qui passe.

D’où te vient cette fascination ?

L’espace est une notion plurielle. Si l’on a tendance à le limiter en un lieu physique ou au vide spatial, il est en vérité multiple et fascinant. On peut se situer dans le temps à trois niveaux : passé, présent, futur. Les époques se suivent et se déterminent en fonction de ceux qui les vivent, de ceux qui les ont façonnées et de ceux qui regardent, observent, analysent. Le temps est relatif à celui qui le vit. Tout le monde évolue dans une dimension différente et similaire à la fois, c’est le paradoxe du temps, me semble-t-il. Chacun de nous le vit, se retourne sur lui, l’anticipe, tente de le prévoir. On peut voir et constater ses effets, sans jamais pouvoir réellement agir, pauvre Dorian Gray…

L’originalité de l’espace-temps ? Il impose aux êtres un mode de déplacement. On ne peut ni l’arrêter ni revenir en arrière, on ne peut qu’avancer. En traitant cette notion, on « s’attaque » à l’insaisissable, et c’est cela qui me séduit.

Dans quelle mesure la Mongolie est un pays questionnant notre rapport à cet espace-temps ?

En Mongolie, le temps semble s’être arrêté… Ou plutôt on apprend à vivre avec lui, tout en respectant les espaces… On se situe dans le contemplatif, l’apaisement. En Occident, c’est tout le contraire, engagé dans une course après le temps, l’homme – individualiste – ne tolère pas l’insaisissable, et préfère contrôler, maîtriser. Nous pensons être libres, mais la vérité est que nous sommes juste enfermés dans une cage dorée.

© Maxime Antony© Maxime Antony

Pourquoi avoir choisi de montrer la Mongolie à travers des prises de vues aériennes ?

La Mongolie est un pays fascinant vu d’en haut. Prendre de la hauteur m’a permis de constater des formes récurrentes comme des ronds et des lignes – les routes, yourtes et lieux de prières.
Dans cette immensité du néant, ces formes relatives au temps apparaissent par ici, et là.

Qu’as-tu appris durant ce périple ?

J’ai appris à apprécier le silence et la solitude. J’ai ensuite compris que nous pouvons vivre avec peu, et le partage est une notion qui peut rendre très heureux. De façon plus spirituelle, mes rencontres ont confirmé que, pour reprendre les mots de John Burroughs dans L’art de voir les choses, « Le ton sur lequel nous parlons au monde est celui qu’il emploie avec nous. Qui donne le meilleur reçoit le meilleur. ». J’ai enfin réalisé que l’avenir me stimule, le passé me construit et que nous avons le temps : l’homme qui possède le temps, et qui accepte sa fuite, est un homme libre.

Est-ce que ce voyage a changé ta relation au temps ?

Je suis revenu en France beaucoup plus léger. Pourquoi tant se presser ? L’éloge de la lenteur me convient aussi. Je dois admettre que, malheureusement, mon mode de vie parisien a pris le pas sur ces considérations. J’ai goûté ce rythme de vie et j’y gouterai de nouveau d’ici quelques années. Pour l’heure, je suis encore trop jeune et fou.
L’hyperactivité et la patience qui me définissent peuvent être compatibles, j’en suis certain.

Trois mots pour résumer cette série ?

Odyssée lointaine et impalpable .

© Maxime Antony

© Maxime Antony

© Maxime Antony

© Maxime Antony© Maxime Antony

© Maxime Antony

© Maxime Antony

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