Née à Jérusalem, Dana Stirling a grandi à Londres avant de devoir retourner vivre en Israël. Un déracinement qui la taraude, au point que ses projets sont toujours en lien avec l’identité. La photographe effectue actuellement un master d’Arts visuels dans l’État de New York. Avec sa série Cache (dont elle a tiré un bel ouvrage en 2014), elle a voulu réinventer son album de famille, comme elle nous l’explique dans cet entretien.
Fisheye: Quel rapport entretiens-tu avec la photographie ?
Dana:
Toute ma famille a un lien très fort à la photographie: en Angleterre, mon grand-père possédait un magasin d’appareils photos. Mon père a d’ailleurs appris à développer les photos en noir et blanc alors qu’il était encore enfant. L’idée que ma famille ait un rapport si intime à la photographie m’a donné l’envie de regarder nos vieux albums…
C’est comme ça qu’est née l’idée de cette série ?
Oui. Dans ces vieux albums, la plupart des images ont été prises à Londres: après notre déménagement en Israël, nous n’avons plus vraiment pris de photos. J’ai réalisé que presque toutes les personnes en photo dans les albums de ma famille m’étaient inconnues, car restées en Angleterre. À mes yeux, elles étaient anonymes. J’ai beaucoup manipulé ces images, je les ai déchirées et transformées dans l’espoir d’enfin ressentir un lien avec ces inconnus. J’en ai tiré la série Anonymous Family qui est la prémisse de Cache.
J’ai ensuite voulu trouver une manière d’être présente dans cet album de famille puisque je ne possédais que de très peu de photos de mon enfance. En comparant les vieilles photos en noir et blanc aux miennes, j’ai trouvé beaucoup de similitudes et j’ai voulu me les approprier. Les frontières se sont brouillées peu à peu et tous les clichés sont devenus intemporels.
Pourquoi avoir choisi le titre Cache ?
Ce titre est l’élément clé de mon projet. Le terme renvoie aux trésors, aux informations et aux souvenirs enfouis profondément. Même s’il s’agit de jargon informatique [ndrl: le titre fait référence à “mémoire cache“] , sa définition reflète parfaitement mon travail. A travers cette série, j’ai exploré mon identité morcelée. En Israël, la barrière du langage, le décalage culturel et le fait que je ne me suis jamais sentie Israélienne et pas tout à fait Britannique ont été autant d’obstacles à ma construction personnelle. Ce projet me permet de recréer mon histoire familiale avec un album dont je suis l’auteure: je suis enfin maîtresse de mon identité.
Comment décrirais-tu ton style en quelques mots?
Dans mon travail, la photographie pure [ndlr:”straight photography”en anglais], sans retouche, et les natures mortes s’entremêlent. J’essaie de prendre des photos à la fois poétiques et porteuses d’une information. Je m’inspire beaucoup de mon héritage familial et des albums photos d’inconnus, trouvés dans les marchés aux puces. Mon déracinement m’a poussé à ré-écrire mon histoire pour me l’approprier.
Sur quel projet travailles-tu actuellement ?
J’ai toujours été nomade et depuis deux ans je voyage beaucoup dans le nord-est des États-Unis. Je souhaite inventer une histoire de famille en mêlant mes photos à des vieilles photos d’archives. Ces clichés peuvent permettre à des histoires orphelines de refaire surface. Au fil de mon projet, j’ai même l’impression de m’être attachée à des lieux et des personnes que je ne connais pas. Le projet s’intitule “Best, with a dash of worse” (en français, “Le meilleur, et un soupçon du pire”).
Propos recueillis par Hélène Rocco
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