Fisheye : Comment est né ce travail sur les prisons belges ?
Sébastien Van Malleghem : C’est la suite de mon travail précédent où j’ai suivi le quotidien des policiers belges, la nuit. J’ai photographié aussi bien les quartiers bourgeois que les zones chaudes, en francophonie et dans la capitale. Puis je me suis intéressé à ce qui arrivait aux gens qui étaient arrêtés et mis en prison. Quelle était la réalité carcérale pour des humains enfermés, au cœur de l’Europe, en Belgique, au XXIe siècle. Comment on punit les gens aujourd’hui. J’ai travaillé sur les prisons belges de 2011 à 2014, et le livre et sorti en 2015.
C’est donc la suite de ton premier travail sur la police ?
Oui, ça s’inscrit dans un triptyque sur la justice, dont le troisième volet concernera la criminalité – déjà en cours –, mais qui est très difficile à réaliser. La plupart des gens pensent que les personnes en prison sont nourries et logées, avec la télé et que c’est très bien. La réalité est tout autre : la torture est bien plus psychologique que physique, c’est certain.
Combien de prisons as-tu photographiées ?
Une douzaine. Je savais que l’administration de la justice était débordée, archaïque et opaque. Je le savais, mais là le fait de le voir, ça a renforcé une forme de rage et de rancœur. On ne cherche pas à soigner un problème, on le parque. Même les personnes mentalement déficientes sont parquées. Une psychologie me disait : « Ici, tu sais c’est le fond du panier. Et la fin de la route pour beaucoup, ils ne savent pas quand ils vont sortir, et on les drogue aux médocs. » Pour les criminels, il n’y aucune assistance psychologique. Ceux qui ont commis un crime restent avec leur crime dans la tête. Il y a un problème qu’il faut soigner. Si la prison est une privation de liberté, pourquoi ne pas en profiter pour essayer de les rendre meilleurs pendant ce temps ?
Tu as demandé à te faire enfermer en prison, pourquoi ?
Oui, j’ai vécu cette expérience durant trois jours. Tu vois une porte grise toute la journée, tu entends des bruits de pas, des cris… C’était très fort. La première nuit, j’ai cherché à m’échapper, j’ai commencé à rechercher des plans d’évasion, je crois qu’en fait c’est normal. Le problème c’est que la prison rend fou, l’homme n’est pas fait pour être enfermé. Surtout quand on vit dans une cellule de 6m2 avec une ou deux personnes à côté de soi, avec des toilettes juste là, une télé qui passe un programme que tu n’as pas forcément choisi, ça crée une forme de bouilloire.
Tu as aussi consigné beaucoup de témoignages dans ton livre…
Oui, parce que je ne m’estime pas assez sociologue pour écrire là-dessus. Qui peut mieux parler de la prison qu’un gardien ou un détenu avec qui je suis devenu presque pote. En restant 6 ou 7 heures dans une cellule, trois jours de suite, à la fin on passe un certain cap. On gagne la confiance des détenus, ils peuvent me parler de leurs enfants, de ce qui se passe en prison et baisser la garde.
À un moment du reportage, tu dis « J’ai arrêté au moment ou quand je me levais le matin, je n’y arrivais plus… »
Le fait de regarder tout le temps, d’écouter ces histoires qui sont dramatiques, de parler avec ces gens qui ont traversé des choses que la plupart d’entre nous n’ont pas vécues, c’est très difficile. Certains ont traversé des pays entiers, ont tué des gens, des histoires terribles… On écoute, on photographie, on est proche des personnes. Moi je fais ça avec mon cœur, je n’essaie pas d’être froid ni d’être le plus objectif possible. Oui je photographie le réel. Non je ne fais pas de mise en scène, et je ne retouche pas mes photos outre mesure. Mais à la fin, on n’en peut plus. Je crois qu’à un moment, je sature. C’est comme ça que je me rends compte qu’un sujet est terminé : photographier avec son cœur jusqu’à ce qu’on n’en puisse plus.
Prisons
Sébastien Van Malleghem
Éditions André Frère, 39,50 €, 208 pages
Propos recueillis par Éric Karsenty
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