Chaumont-Photo-sur-Loire, festival photographique dédié au paysage et à la nature, accueille cette année six photographes internationaux. Six artistes capturant avec créativité les territoires familiers comme les contrées méconnues.
Depuis trois ans, Chaumont-Photo-sur-Loire, porté par sa commissaire passionnée Chantal Colleu-Dumond, expose dans l’enceinte du Domaine des photographes inspirés par le paysage et la nature. Cette année, six artistes internationaux présentent leurs travaux illustrant une nature sauvage, aussi familière que lointaine : si Bae Bien-U, Juliette Agnel et Juan san Juan capturent des territoires dépaysants, Henry Roy, Jeffrey Blondes et Manolo Chrétien préfèrent contempler la Loire. Mais dans les salles du château, toutes ces œuvres s’approprient l’espace avec harmonie, la splendeur du cadre révélant la beauté des paysages.
La Loire en pleine métamorphose
C’est d’ailleurs en découvrant Chaumont-sur-Loire que le photographe et écrivain Henry Roy est tombé sous le charme de la région. « J’ai eu un coup de foudre pour ce lieu et j’ai proposé à Chantal Colleu-Dumond d’y revenir pour une résidence : je voulais faire un portrait de Chaumont », explique-t-il. En mêlant textes et images, l’artiste s’est inspiré de ses origines haïtiennes pour produire une série éclairée par la lumière naturelle, s’attachant à mettre en valeur « l’esprit du lieu ». « Il s’agit d’un travail proche de l’abstraction, flirtant avec les sensations – un regard poétique sur le territoire », précise-t-il.
Habitant depuis trente ans dans la région, l’américain Jeffrey Blondes a quant à lui réalisé un film de douze minutes, représentant une année de travail – deux heures, une fois par mois, les six premiers mois à l’aube, puis les six autres au crépuscule. Un court métrage évoquant les fresques de Monet, accompagné de tableaux composés de carrés de couleurs représentant les dégradés de la Loire. Il y a comme un appel à prendre son temps, au cœur de cette exposition. Assis sur un banc, à contempler les changements subtils de lumière sur le fleuve, on se prend à oublier le quotidien et s’immerger dans cet espace paisible. « Je ne suis finalement qu’un voyeur de la nature », confie l’artiste avec malice.
Plus indomptable, l’artiste français Manolo Chrétien présente Fusion, une série dédiée à l’eau de la Loire. « Je m’intéresse à l’effet peau de sardine : un contre-jour si puissant qu’il absorbe la lumière et transforme la couleur en noir et blanc », explique l’auteur. À travers son objectif, l’eau devient matière. Elle évoque les rides d’une peau humaine, comme les poils drus d’un animal sauvage. En réalisant ses images en pause lente, le photographe laisse le temps à la Loire de circuler. « Je la transforme ainsi en peinture », ajoute-t-il. Un travail sensoriel et hypnotique.
À travers ces trois écritures singulières, la Loire évolue, devenue charmeuse, sauvage ou même exotique. Sous l’œil des visiteurs, elle se métamorphose, les invitant à explorer d’autres contrées plus lointaines.
© Manolo Chrétien
Un monde sauvage à la splendeur irréelle
S’il aime développer plusieurs univers, photographiant des forêts comme des plantes, ce sont les fleurs que le photographe mexicain Juan San Juan Rebollar préfère capturer. Shootées sur un fond noir, sans aucun élément de comparaison, ses compositions colorées brouillent les frontières entre réel et imaginaire. Dans ses images, les fleurs semblent presque devenir des êtres vivants. « J’étudie l’évolution des fleurs, jusqu’à ce qu’elles fanent. Je vois en cette transformation une métaphore du cycle de la vie : lorsque la fleur meurt, elle devient un fruit, puis une graine… et le cycle recommence », explique-t-il. Comparant sa maison à un jardin botanique, l’artiste, vivant seul, attend patiemment que ses « modèles » soient prêtes à être photographiées. Un travail fascinant sur la notion de temps.
Dans les Galeries hautes du Château, le travail de Bae Bien-U s’oppose aux compositions de Juan San Juan Rebollar. Le photographe coréen dévoile ici une œuvre minimaliste et monochrome, représentant les Orums, des collines volcaniques coréennes. Inspiré par les peintures à l’encre chinoises, l’artiste capture des paysages aux dégradés de gris envoûtants. En reconstituant des triptyques saisissants, il met en scène une réalité altérée, créant un paysage imaginaire – celui que lui inspire cet espace désert. « Ce lieu est connu pour son vent, ses pierres, et ses femmes. J’ai souhaité illustrer ces trois dimensions dans mon travail », commente l’artiste. Tout en subtilité, des courbes féminines se laissent en effet deviner dans les formes des collines, sensuelles et mystérieuses.
D’esthétiques opposées, ces deux séries jouent avec notre perception et représentent un monde sauvage à la splendeur irréelle. Du détail d’un pétale aux horizons sans fin, les artistes célèbrent une nature merveilleuse.
© Bae Bien-U
Pré et post humanité
Partie plus loin que tous vers des terres inconnues, Juliette Agnel dévoile, pour la toute première fois, ses nocturnes du Soudan. Présente sur place durant la révolution soudanaise, la photographe était « officiellement invitée dans un congrès d’architectes », une manière de lui permettre d’accéder à ce paysage grandiose. « Je n’osais pas y croire, un tel périple me paraissait trop beau pour être vrai », se souvient la photographe. En deux semaines, celle-ci a découvert Méroé, la terre des Pharaons noirs. « Ce pays n’est pas du tout visité, tout semble être une découverte. Je voyais ces vestiges dont personne ne parle, et j’avais l’impression d’être dans un monde imaginaire, enfoui, disparu, une sorte d’Atlantide, à l’extraordinaire énergie cosmique et tellurique », raconte-t-elle.
Pour réaliser ses œuvres à la beauté surnaturelle, Juliette Agnel a fait équipe avec un retoucheur et un tireur. Après avoir photographié les ciels de nuit, elle retournait sur les sites en journée pour capturer les pyramides. Dans cet univers étrange, il lui a semblé traverser les époques et remonter le temps. Son travail, sublimé par un tirage mat aux tons veloutés, semble représenter un territoire fantasmé, balançant entre les temps anciens et le monde futur. « Je voulais mettre en avant les notions de pré et post humanité. Dans ce lieu désertique, la notion d’astre provoque une bascule vers un espace imaginé », précise l’artiste. Un monde où le temps n’a plus d’importance, effacé par la majesté des paysages. Une exploration surréaliste au cœur des ruines d’une culture oubliée.
© Juliette Agnel
© Henry Roy
© Juan san Juan
© Jeffrey Blondes
© Bae Bien-U
Image d’ouverture : © Juliette Agnel