Chieko Shiraishi : l’art du tirage et la poésie du regard

01 décembre 2021   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Chieko Shiraishi : l’art du tirage et la poésie du regard

Jusqu’au 15 janvier 2022, la Galerie Écho 119 accueille À la frontière des songes, une exposition regroupant deux séries de la photographe Chieko Shiraishi. Une collection d’œuvres à la délicatesse extrême proposant un voyage aussi physique que psychique.

Une forêt enneigée, une ville endormie, la traversée de cerfs en terre sauvage, une mystérieuse baleine échouée en plein espace urbain… Entre fantasme et réalité, les œuvres de Chieko Shiraishi se lisent comme des instants de grâce absolue, suspendus dans le temps, comme une expiration face au noble silence d’un lac gelé. C’est aux côtés de Katsuhito Nakazato et Kazuo Kitai que la photographe japonaise née en 1968 s’initie à la chambre noire et apprend à maîtriser les techniques de tirage. Passionnée par ces procédés, elle s’immerge dans cet univers intimiste, et fait de l’impression une part primordiale de son travail. Une dimension artisanale nécessaire, puisqu’elle vient complimenter les images et leur apporter une aura plastique. Comme une aquarelle monochrome, où les coups de pinceau se fondent dans le paysage représenté. Véritables tableaux uniques, chacune des photographies évoque une recherche de la perfection, une tâche longue, pointilleuse, faisant surgir chaque détail, chaque texture. Et parmi ses expérimentations favorites, se trouve le Zokin-Gaze, populaire dans les années 1920 et 1930, tombée ensuite dans l’oubli. Une technique qui consiste à appliquer de la peinture à l’huile sur les tirages pour ensuite enlever de la matière à l’aide d’un chiffon. Un savoir-faire pictural, sensoriel, qui rend les images organiques, presque vivantes.

© Chieko Shiraishi, Shimakage series

Une ode au silence

Regroupant deux séries de l’artiste – Shikatawari (La Traversée des Cerfs) et Shimakage (L’ombre des Îles) – l’exposition À la frontière des songes s’articule autour de l’errance. Une errance en pleine nature, tout d’abord, puisque pendant plusieurs années Chieko Shiraishi a suivi un troupeau de cerfs dans l’est de Hokkaido. Une plongée dans un territoire hostile, glacial, où elle s’abandonne pour capter les mouvements des animaux. Dans cet espace isolé, chaque élément semble posséder une âme. Osmose entre les minéraux, la végétation et les êtres vivants, la série tisse des liens entre chaque partie du vivant pour mieux les réunir, dans une œuvre solitaire et magistrale.

Plus urbaine, Shimakage retrace les voyages de la photographe aux quatre coins du Japon dans un univers composé d’ombres et de noirs veloutés. Pensée comme une course aux souvenirs, un désir d’encapsuler la sensation de ces fragments de mémoire avant qu’ils ne s’effacent, la série joue avec le réel et fait basculer le regardeur dans le monde des songes. Sublimés par la peinture, les tirages se parent d’une aura fantastique, et viennent interroger notre rapport au passé. Entre émerveillement et mélancolie, réalisme et envolées délirantes, les images de l’autrice rapportent des tréfonds de l’intime des écrins lumineux. C’est une ode au silence, que nous propose finalement Chieko Shiraishi. Un périple magique dans un monde immobilisé par la neige, par le poids du souvenir. Et nos pas laissent des traces sur le sol blanc, leur bruit assourdi par l’épaisse couche de neige. Ils nous guident vers des créations cathartiques, venus tout droit du cœur de la photographe. Une marche hypnotique dans un espace figé, dont les nuances de gris enveloppent les silhouettes d’un manteau rassurant, et invitent les esprits à amorcer ce voyage psychique, au bord de l’imaginaire.

© Chieko Shiraishi, Shikawatari series

© Chieko Shiraishi, Shikawatari series© Chieko Shiraishi, Shimakage series

© Chieko Shiraishi, Shikawatari series

© Chieko Shiraishi, Shimakage series© Chieko Shiraishi, Shimakage series

© Chieko Shiraishi, Shimakage series

© Chieko Shiraishi

Explorez
Aleksandra Żalińska rend un tendre hommage à sa grand-mère
© Aleksandra Żalińska
Aleksandra Żalińska rend un tendre hommage à sa grand-mère
À travers But please be careful out there, Aleksandra Żalińska photographie sa grand-mère, avec qui elle entretient une grande...
22 novembre 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Elie Monferier : visible à la foi
© Elie Monferier
Elie Monferier : visible à la foi
À travers Sanctuaire – troisième chapitre d’un projet au long cours – Elie Monferier révèle, dans un noir et blanc pictorialiste...
21 novembre 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Eimear Lynch s'immisce dans les préparatifs de soirées entre adolescentes 
© Eimear Lynch
Eimear Lynch s’immisce dans les préparatifs de soirées entre adolescentes 
Dans le souvenir de bons moments de son adolescence, Eimear Lynch, aujourd’hui âgée de 29 ans, a imaginé Girls’ Night. Au fil des pages...
19 novembre 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les coups de cœur #519 : Pauline Köhlen et Ryan Young
© Pauline Köhlen
Les coups de cœur #519 : Pauline Köhlen et Ryan Young
Pauline Köhlen et Ryan Young, nos coups de cœur de la semaine, s’intéressent à une forme d’ancrage. La première interroge notre relation...
18 novembre 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Chaumont-Photo-sur-Loire, une 7ᵉ édition où la  poésie tutoie l'engagement écologique
Décolorisation, 2024 © Letizia Le Fur, courtesy Galerie Julie Caredda – Paris
Chaumont-Photo-sur-Loire, une 7ᵉ édition où la poésie tutoie l’engagement écologique
Sur les bords de Loire, dans l’idyllique domaine du château de Chaumont-sur-Loire, se sont installées cinq expositions qui célèbrent la...
23 novembre 2024   •  
Écrit par Marie Baranger
Marie Le Gall : photographier un Maroc intime
© Marie Le Gall
Marie Le Gall : photographier un Maroc intime
Absente depuis vingt ans, lorsque Marie Le Gall retourne enfin au Maroc, elle découvre un territoire aussi étranger que familier....
22 novembre 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Aleksandra Żalińska rend un tendre hommage à sa grand-mère
© Aleksandra Żalińska
Aleksandra Żalińska rend un tendre hommage à sa grand-mère
À travers But please be careful out there, Aleksandra Żalińska photographie sa grand-mère, avec qui elle entretient une grande...
22 novembre 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Mode et séduction : Austn Fischer allie art et Tinder
© Austn Fischer
Mode et séduction : Austn Fischer allie art et Tinder
Installé à Londres, Austn Fischer puise dans les ressorts de la communauté LGBTQIA+ pour interroger les notions traditionnelles de genre....
21 novembre 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet