« Chroniques de verre » : Anaïs Boudot travaille la mémoire

16 février 2022   •  
Écrit par Lou Tsatsas
« Chroniques de verre » : Anaïs Boudot travaille la mémoire

La Galerie Binome accueille, jusqu’au 27 mars, Chroniques de Verre d’Anaïs Boudot. Un dialogue entre deux séries de l’artiste visuelle et plasticienne, donnant à voir son engagement, comme sa sensibilité.

Nous avions découvert Les Oubliées, le travail plastique et engagé d’Anaïs Boudot, lors de la parution de son livre, aux éditions The Eyes. Une œuvre inspirée par les expérimentations sur plaques de verre des surréalistes Picasso et Brassaï… Et par leur misogynie. Au cœur de la Galerie Binome, la photographe et artiste plasticienne met en dialogue ce projet et Jour le jour, une nouvelle exploration du matériau, jouant cette fois avec des archives plus récentes : celles issues de son smartphone. Entre passé et présent, réflexions féministes et errances poétiques, l’autrice dévoile, à travers un large éventail, la diversité de sa création, tout en déconstruisant son médium de prédilection.

Car les œuvres que présente Anaïs Boudot sont des pièces uniques, évoluant en fonction du temps, de la lumière, se construisant à coup de scalpel et d’expériences dans la chambre noire. De la gélatine donnant à ses Oubliées un halo doré fantomatique aux couleurs étrangement passées des plaques de verre de Jour le jour, la photographe s’amuse à fusionner les temporalités. Les figures anonymes de femmes des temps anciens se teintent d’une certaine modernité, tandis que les snapshots ordinaires de nos galeries numériques se transforment en clichés vintage, comme un hommage aux premiers tirages couleur. Des nuances rétro contrastées par les contours des plaques, imitant les bords arrondis de nos portables. Le tout forme une mosaïque où l’esthétique creuse des imprécisions dans les époques, mélange les savoir-faire d’hier et d’aujourd’hui pour donner à voir une œuvre indémodable et raffinée.

© Anaïs Boudot / Courtesy Galerie Binome

© Anaïs Boudot / Courtesy Galerie Binome

Que reste-t-il de nos souvenirs ?

Un entre-deux qu’Anaïs Boudot développe également dans les thématiques qu’elle explore. Si Les Oubliées reprend volontiers le flambeau des mouvements féministes – les femmes présentées dans les images font échos aux muses anonymes des artistes, réduites au rang de simples modèles, et s’affirment ici comme des êtres à part entière – Jour le jour s’impose comme une errance plus légère dans notre quotidien, notre environnement. Pourtant, en s’abimant à la contemplation de clichés universels – la capture d’écran d’une application météo reprenant nos destinations favorites, le portrait d’un animal de compagnie, l’image-souvenir d’un monument emblématique – on ne peut s’empêcher de s’interroger. Nos albums photos sont-ils désormais voués à disparaître ? Puisque nos smartphones deviennent nos banques de données, que reste-t-il de nos coups de cœur, de nos souvenirs ?

Finalement, à travers les récits qu’elle érige, si différents soient-ils, l’artiste s’intéresse à la mémoire. Celle qui redonne vie à des figures laissées trop longtemps dans l’ombre, comme celle qui nous fait défaut, au cœur d’un monde en numérisation constante. Présentées comme des écrins, élégants et délicats, les plaques de verre retravaillées par Anaïs Boudot font de chaque geste, chaque intention, un instant de grâce, à marquer au fer rouge dans l’histoire – commune comme personnelle. Par le choix du matériau, elles transcendent le caractère ordinaire de la photographie, et nous invitent à repenser, avec intelligence, notre société, comme notre monde intérieur.

© Anaïs Boudot / Courtesy Galerie Binôme© Anaïs Boudot / Courtesy Galerie Binôme
© Anaïs Boudot / Courtesy Galerie Binome© Anaïs Boudot / Courtesy Galerie Binome
© Anaïs Boudot / Courtesy Galerie Binôme© Anaïs Boudot / Courtesy Galerie Binôme
© Anaïs Boudot / Courtesy Galerie Binome© Anaïs Boudot / Courtesy Galerie Binome

© Anaïs Boudot / Courtesy Galerie Binome

Explorez
La sélection Instagram #514 : images indociles
© séquoia photos / Instagram
La sélection Instagram #514 : images indociles
Les artistes de notre sélection Instagram de la semaine incarnent, chacun·e à leur manière, le thème de la 56e édition des célèbres...
08 juillet 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Yves Saint Laurent : une histoire en miroir de la photographie et la mode
Polaroïd pris par le personnel de la maison de couture, cabines du 5, avenue Marceau, Paris. Robe de mariée portée par Laetitia Casta, collection haute couture printemps-été 2000, janvier 2000. © Yves Saint Laurent © Fondation Pierre Bergé – Yves Saint Laurent
Yves Saint Laurent : une histoire en miroir de la photographie et la mode
Cet été, parmi les accrochages à retrouver aux Rencontres d’Arles se compte Yves Saint Laurent et la photographie, visible à la Mécanique...
07 juillet 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Wolfgang Tillmans revient sur sa carte blanche au Centre Pompidou
Wolfgang Tillmans à la Bpi, janvier 2025 © Centre Pompidou
Wolfgang Tillmans revient sur sa carte blanche au Centre Pompidou
Le Centre Pompidou lui donne carte blanche jusqu’au 22 septembre 2025, dernier accrochage avant la fermeture du bâtiment pour cinq ans de...
03 juillet 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Marco Dos Santos fait feu de tout bois
© Marco Dos Santos
Marco Dos Santos fait feu de tout bois
Mais peut-il seulement tenir en place ? Depuis plus de vingt ans, Marco Dos Santos trace une trajectoire indocile à travers les scènes...
02 juillet 2025   •  
Écrit par Milena III
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Les images de la semaine du 7 juillet 2025 : sous le soleil arlésien
The Last Cosmology © Kikuji Kawada
Les images de la semaine du 7 juillet 2025 : sous le soleil arlésien
C’est l’heure du récap ! À l’occasion des Rencontres d’Arles, nous avons sélectionné une série d’expositions, aux sujets et...
Il y a 2 heures   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Octavio Aguilar remporte le prix Découverte Roederer
Ma yëë tunjoty, ma yëë kopkjoty, 2020. © Octavio Aguilar. Avec l’aimable autorisation de l’artiste / Parallel Oaxaca.
Octavio Aguilar remporte le prix Découverte Roederer
Pour la deuxième année consécutive, les Rencontres d'Arles mettent en lumière les sept finalistes du prix Découverte Fondation Roederer à...
12 juillet 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Rencontres d'Arles 2025 : les coups de cœur de la rédaction
Montagne de Corte, Corse, 2022. © Jean-Michel André. Avec l’aimable autorisation de l’Institut pour la photographie / Galerie Sit Down.
Rencontres d’Arles 2025 : les coups de cœur de la rédaction
En parallèle de ses articles sur la 56e édition des Rencontres d’Arles, qui se tient jusqu’au 5 octobre 2025, la rédaction...
12 juillet 2025   •  
Nan Goldin, lauréate du prix Women in Motion 2025, présente Syndrome de Stendhal
Jeune amour, 2024 © Nan Goldin. Avec l’aimable autorisation de l’artiste / Gagosian.
Nan Goldin, lauréate du prix Women in Motion 2025, présente Syndrome de Stendhal
Ce mardi 8 juillet, Nan Goldin a reçu le prix Women in Motion au Théâtre Antique d’Arles, qui affichait complet. À cette occasion...
11 juillet 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet