Dans le Fisheye n°47, nous sommes allés à la rencontre de plus d’une vingtaine d’acteurs du monde de la photo, pour enquêter sur l’intérêt de suivre un cursus scolaire spécialisé. Un dossier nuancé confrontant les points de vue d’anciens étudiants, professeurs et spécialistes. Pour approfondir, découvrez ici l’entretien complet du photographe Maxime Matthys. Propos recueillis par Éric Karsenty.
Je pense que la formation de photojournalisme que j’ai suivie à l’EMI (École des métiers de l’information) a modifié quelque chose assez profondément en moi, quelque chose de complexe à décrire. La première chose qui me vient en tête est la très grande émulation qui régnait entre les différents photographes qui participaient à la formation et les tuteurs, Julien Daniel et Guillaume Herbaut. Sans pour autant que ça devienne de la compétition ou une bataille d’ego, ce qui me semble assez rare pour le préciser. Tout le monde était tout simplement passionné. Je retiens énormément d’entraide entre les photographes, et surtout une énergie incroyable qui nous était insufflée par les deux tuteurs, et qui grandissait encore et se multipliait parmi les élèves. J’ai littéralement vécu “photographie documentaire” 24h/24, 7j/7 durant six mois. Je me souviens de journées entières de reportage dans les rues de Paris, avec les autres photographes, qui se poursuivaient au bistro jusqu’à pas d’heure à parler, débattre, échanger autour de la photographie. C’était tout simplement passionnant. J’ai rencontré des personnes qui sont devenues de véritables amis et, qui malgré la distance et les changements de direction, le resteront longtemps. J’ai eu énormément de chance de tomber sur cette promotion, car je sais qu’en fonction des profils et des personnalités des photographes, cette émulation n’est pas toujours au rendez-vous. Au-delà de ça, je pense que cette formation m’a rendu beaucoup plus curieux et inventif que je ne l’étais en arrivant. C’est dû au parcours des tuteurs, mais aussi de mes camarades photographes, dont beaucoup étaient plus âgés que moi et avaient déjà eu une, voire plusieurs autres vies !
Faire le deuil du photojournalisme
Ce qui m’a manqué, mais que je ne l’ai compris que plusieurs mois plus tard, c’est une ouverture vers d’autres approches photographiques, vers l’art contemporain en général. Ça semblait évident, car la formation se focalise sur le photojournalisme et la photo documentaire, mais elle gagnerait à explorer un peu plus en dehors de cette bulle photographique. Je pense aussi qu’il est temps de faire le deuil du photojournalisme et de la photographie de presse pure et dur à la James Nachtwey qui appartiennent à une époque où les technologies et réseaux de communication n’étaient pas ceux d’aujourd’hui. Il y a un microcosme parisien qui gravite autour de la photographie de presse, dans lequel j’avais l’habitude d’évoluer avec mes compagnons de formation, qui tend à glorifier cette vision très fermée et presque ancestrale du photojournalisme, et je pense que c’est piégeux et trompeur pour les jeunes photographes. À l’époque, je ne pensais qu’aux photographies de Visa pour l’image, ou du prix Bayeux, des lieux qui étaient considérés comme la « Mecque » du photojournalisme. Puis, assez rapidement, j’ai réalisé que cette approche qui privilégie toujours le spectaculaire, le misérabilisme, ne me convenait pas. Je croyais que ces photographies d’une violence et d’une douleur inouïe étaient la clé pour toucher le public, changer l’opinion, changer le monde ! Je me faisais une illusion de croire que les images peuvent témoigner de la réalité, alors qu’elles n’en sont qu’une représentation, dont la neutralité journalistique est impossible à atteindre.
Pour remédier à cette lacune – qui n’en était pas une, car je savais où je mettais les pieds –, je me suis intéressé à d’autres champs de la photographie, et surtout à l’histoire de l’art, les artistes contemporains tous médiums confondus. Je suis allé dans les plus grandes galeries parisiennes pour essayer d’y voir plus clair. Puis j’ai voyagé, notamment en Chine, où j’ai produit 2091: The Ministry of Privacy. Ensuite, en 2020, je me suis lancé dans un master aux Beaux-Arts de Rennes, qui s’est terminée précipitamment en raison du covid. Aujourd’hui, je n’ai plus vraiment la tête dans les formations, mais je pense qu’étant donné mon parcours, si devais en suivre une, j’irais dans une école du type beaux-arts réputée en photographie, comme par exemple KASK en Belgique. Mon conseil pour quelqu’un qui se lance dans la photo est de ne pas s’y cantonner, d’explorer d’autres médiums, de considérer la photographie comme un outil pour raconter une histoire, et pas comme un support qui se suffit à lui-même.
2091: The Ministry of Privacy continue aussi sa route et sera exposé à la biennale de l’image tangible à Paris, lorsqu’il sera de nouveau possible d’organiser un évènement culturel en France.