« Hip-Hop 360 » : sous les feux de la rampe à la Philharmonie

11 février 2022   •  
Écrit par Ana Corderot
« Hip-Hop 360 » : sous les feux de la rampe à la Philharmonie

Ouverte au public en décembre dernier à la Philharmonie, Hip-Hop 360  a rapidement séduit amateurs, initiés, familles et groupes scolaires. Son commissaire, François Gautret, fils du hip-hop et père de RStyle (structure de promotion des cultures urbaines), aux côtés de la scénographe Clémence Farrell, ont pris le temps de nous dévoiler les rouages de cette exposition. Composée d’installations interactives, créations in situ, photographies inédites, témoignages et concerts annexes, Hip-Hop 360 est un spectacle permanent, où chacun est invité à « rentrer dans le cercle ». Entretiens.

Fisheye : Pourriez-vous vous présenter ?

François Gautret : J’ai 42 ans, je suis né à Paris dans le 19e arrondissement, un quartier qui a vu naître le hip-hop, avec les terrains vagues de la Chapelle, la salle Paco Rabanne… des lieux cultes de cette génération qui ont rythmé mon adolescence. En 1989, j’ai commencé la danse avec le petit frère de Dj Abdel, qui était mon voisin de palier. Très jeune, je m’amusais à filmer ma bande d’amis, dont faisaient partie les grands noms du hip-hop français. Je capturais les spectacles de rues, les entraînements, les battles et les ambiances. Sans vraiment le savoir, j’étais en train de composer une archive volumineuse d’images et de vidéos sur le hip-hop.

En 1999, en parallèle de mes études, j’ai monté RStyle. Progressivement, j’ai commencé à créer mes propres contenus en les exposant. En 2005, j’ai lancé le Urban Films Festival, un festival de vidéos sur les cultures de rues. Cela m’a permis de fédérer une communauté de réalisateurs, danseurs, photographes venant du monde entier. Depuis, on reçoit un nombre grandissant de films de rues. Cette année, on célèbre notre 17e anniversaire et on se rend compte que l’on a beaucoup de ressources, qui plus est de qualité. Les institutions nationales nous demandent de plus en plus des sessions de films, pour avoir accès à ces contenus qui ne sont accessibles nulle part ailleurs. On m’a par exemple proposé de participer à d’autres expositions : Terrains : les lieux mythiques du hip-hop au pavillon carré Baudoin, à Paris, ou à Marseille au Mucem. C’est une réelle force, car RStyle archive les contenus de la culture urbaine, elle devient une sorte de médiathèque. Pour l’instant, cela se présente sous un format assez artisanal, mais j’espère qu’avec l’exposition, l’écho sera plus fort et que l’on pourra faire quelque chose de plus ambitieux.

© Daouda Shabazz

© Daouda Shabazz

Clémence Farrell : Je suis scénographe et muséographe, spécialisée dans les expositions immersives et interactives. Autrement dit, des parcours qui en appellent aux sens et à l’émotion du visiteur. J’aime créer des univers, des ambiances spécifiques pour présenter un sujet.

Le hip-hop, c’est toute une partie de ma vie et notamment de ma jeunesse. J’étais dans un mouvement constant. Quand je pense à l’exposition, je pense instantanément à Maï Lucas, une des photographes présentées, et mon amie depuis que j’ai 16 ans. Viennent ensuite Mode 2, Jonone Bando, Dee Nasty, Stomy, tous ces anciens du hip-hop qui faisaient partie de ma fidèle bande. Il y a aussi le père de mes filles, Doctor L (musicien et compositeur du groupe Assassin). Cette culture hip-hop, est devenue véritablement quelque chose d’intime, et fait partie intégrante de ma vie.

© Maï Lucas

© Maï Lucas

François Gautret, quelle est la genèse de Hip-Hop 360  ?

Cette exposition vient à point nommé dans mon parcours, elle est la continuité de tout ce travail d’archivage initié il y a plusieurs années. Elle permet de donner un coup de projecteur à cette initiative. Malgré ce monstre de Philharmonie, on ne voit pas le travail associatif qu’il y a derrière. Elle souligne toute la nécessité de l’archivage dans la culture hip-hop puisque pour l’alimenter on a besoin de témoignages, d’histoires. Il faut le faire avant que celles et ceux qui l’ont fait vivre ne disparaissent, ou soient inaccessibles. Hip-Hop 360 c’est aussi le témoin de la transmission de valeurs inhérente à cette culture. Elle lui donne également une base, une histoire.

Clémence Farrell, qu’est-ce qui vous a particulièrement séduit dans ce projet ? 

L’approche à la fois sentimentale et passionnée de François Gautret, et surtout notre générosité commune. La Philharmonie a beaucoup joué également, et notamment sa direction et ses équipes, dont Julie Benet la cheffe de projet. Tous étaient prêts et prêtes à faire des expériences, en cherchant constamment à innover. Les équipes audiovisuelles de Mathias Aberve m’ont aussi beaucoup aidé.

© David Delaplace

Ninho et RimK sur le tournage de « Air max », 2018 © David Delaplace

François Gautret, au cœur de l’exposition, on peut apercevoir une installation 360. Qu’évoque-t-elle ?

Il y a d’abord une dimension particulière liée au cercle. En tant que danseur, j’entretiens une relation symbolique avec ce dernier, car c’est dans ce cercle que l’on rentre, pour s’exprimer, danser, partager. C’est ici qu’on se dépasse, qu’on se challenge et que le champ des possibles se déploie. C’est un moment d’expression libre, d’échange. De manière générale, l’idée de « rentrer dans un cercle » est un acte de communauté assez fort. Au sein de l’installation, les visiteurs peuvent à leur tour participer.

Il y a ensuite le côté 360 puisqu’on ne se cantonne pas aux disciplines traditionnelles du hip-hop (telles que la danse, le beat box ou le rap), mais on va plus loin en dévoilant le versant mode de la culture, les photographes, les réalisateurs de clips, le cinéma, les beatmakers….

© Marc Terranova

Les Atomic Breakers, place de la Sorbonne, 1987 ©Marc Terranova

L’exposition rassemble plusieurs médiums, comment avez-vous opéré le choix des œuvres ?

François Gautret : Lorsque la Philharmonie m’a contacté pour m’annoncer qu’ils m’avaient choisi comme commissaire d’exposition, j’ai d’abord été assez surpris. Mais en tant qu’archiviste, cela avait quand même du sens. Très vite, j’ai tenu à ce qu’il y ait des formes d’expression plurielles. Étant sensible à l’image, j’ai voulu mettre en lumière des regards singuliers de photographes, tout en gardant comme fil conducteur la musique. Il fallait dévoiler un maximum de visages, d’univers, pour créer un dialogue cohérent qui traverserait les époques. La question s’est posée quant à la façon de présenter le rap vulgaire ou cru. Nous l’avons donc fait à travers une installation particulière, dévoilant toutes les formes du rap : allant du hardcore au poétique en passant par le militant ou l’engagé. Il fallait montrer qu’il y en avait pour tous les goûts, et que lorsque cette vulgarité est justifiée par rapport à un contexte, cela prend tout son sens. Je pense à Diam’s et à sa punchline mythique « J’emmerde qui ? Le front national » dans son morceau Marine, pourquoi pas finalement ?

Clémence Farrell : Dans le cadre de mes missions, j’ai dû organiser le parcours, créer un univers, dessiner tous les espaces mobiliers et accrochages d’œuvres. Mais le côté disparate de toutes les œuvres a été vraiment difficile à mettre en place. Il fallait trouver un liant à tout cela. C’est pourquoi j’ai choisi cet univers de tôle ondulée, présente au long de l’exposition. C’est un matériau qui appartient à la fois à la ville et à la banlieue. Je l’ai revisité pour en trouver une beauté et une élégance.

© Marc Terranova

Dee Nasty et Afrikaa Bambaataa chez Radio Nova © Marc Terranova

Et quelles ont été vos expositions références, Clémence Farrell ?

Mon plus grand déclic en termes de scénographie remonte à Cités Ciné, lorsque j’avais 15 ans. C’est à ce moment que j’ai voulu me consacrer à ce métier. Le scénographe à l’origine de ce projet était Francois Confino, et je crois que sa vision des choses m’a fait un effet incroyable. Pour une première exposition, dite immersive, il y a 35 ans de cela, j’étais éblouie de me retrouver au cœur du cinéma, à vivre les choses, et non seulement les regarder. C’est cette exposition qui a marqué, et continue d’influencer le reste de mes créations.

François Gautret, votre qualité de danseur vous a-t-elle aidée à investir l’espace ?

Oui, vraiment. Lorsque je conçois un projet, je l’imagine effectivement comme au moment où je monte sur scène et que je dois raconter une histoire. C’est la même chose, lorsque je dois monter un film, je l’imagine avec des temps forts, des pauses, des rebondissements, de la dramaturgie. Quand j’ai écrit l’exposition, je l’imaginais faite « à l’américaine ». Autrement dit, comme dans les films américains, commençant par une action forte, faite de rebondissements et se terminant en grande pompe. Je souhaitais donc une entrée impactante, en dehors du temps, pour qu’on ne rentre pas dans une époque préétablie. C’est pour cela que d’entrée de jeu, le visiteur est face à un mapping vidéo, avec des images qui donnent les dates clefs sous un fond sonore entêtant. C’est un moment important, dévoilant les paradoxes de cette culture : elle évoque le crew VEP (Vandales en puissance) qui rentre en galerie, l’art de la débrouille, les collaborations avec le luxe, le rap hardcore mais aussi celui véhiculant des valeurs de paix et de respect. C’est vraiment 40 ans de hip-hop en France, qui défile dans l’espace.

Il y a ceux qui ont fait le hip-hop et ceux qui l’ont documenté, comme Maï Lucas. Que vous inspirent ses images ? Que disent-elles de cette culture ?

François Gautret : Oui, le 8ème art a contribué à raconter l’histoire du hip-hop. C’est pourquoi j’ai fait débuter l’exposition avec des clichés de Martine Barra − photographe française immigrée aux États-Unis dans les années 1970 −, suivie de Sophie Bramly, Maï Lucas, Marc Terranova ou encore Willy Vainqueur. Maï Lucas ou Sophie Bramly, qui ont d’ailleurs publié des livres à l’occasion de l’exposition, ont même ressorti des archives dont elles avaient oublié l’existence, et se sont rendu compte à quel point cette période avait marqué leur vie.

En un sens, leurs ouvrages se lisent comme des dédicaces à cette époque, et célèbrent la culture. Je trouve que leurs travaux sont complètement cohérents avec ce qu’il se passe en ce moment. Ce sont des œuvres authentiques, qui dévoilent des valeurs de partage et qui reviennent aux racines en montrant comment ce patrimoine artistique s’est construit. C’est également intéressant de voir que cette exposition plait et intrigue les groupes scolaires ou les centres culturels et sociaux. Si l’on s’arrête dans l’exposition pour observer les visiteurs, on se rend compte que durant le parcours des parents viennent raconter à leurs enfants leur propre histoire du hip-hop. Finalement, ce sont ces mêmes enfants qui, à leur tour, racontent le hip-hop d’aujourd’hui. Cela prouve que cette culture n’est pas enfermée, elle est en perpétuelle évolution et se transforme avec son temps. Et c’est pour cela qu’elle perdure, car elle se réinvente à chaque instant.

© Sophie Bramly

Fab 5 Freddy et Uncle O aux Bains Douches, Paris, 1984 © Sophie Bramly

Que retenez-vous de votre collaboration ?

François Gautret : Le fait de voir que l’on s’entend bien et que le dialogue fonctionne. Clémence a réussi à stimuler mes idées, à aller plus loin. Elle a parfaitement répondue à mes attentes. Il faut dire qu’elle vient de cet univers aussi. Finalement, elle a su dévoiler le côté brut de la rue avec élégance. Elle a créé un équilibre parfait entre chaque élément : il y a le côté spontané du freestyle qui cohabite dans un écrin feutré, avec tous les codes du luxe.

Clémence Farrell : Beaucoup de connexions, de douceur mais également de passion et d’exigence, pour obtenir un résultat incroyable. François réussit à réunir tout le mouvement par sa bienveillance et son positivisme. C’est véritablement important, car le hip-hop développe beaucoup d’ego trip, de compétition ou de rapports de forces. Il arrive avec passion et tendresse à rassembler tout le monde, et c’est merveilleux.

La Philharmonie, était-ce l’endroit idéal pour présenter l’exposition ?  

François Gautret : C’est pour moi une belle reconnaissance de notre culture. Pendant trop longtemps, le hip-hop était rattaché à une forme d’expression liée au social. Aujourd’hui, au sein de ce bâtiment d’État, dépendant du ministère de la Culture, cette retrospective permet de faire vivre professionnellement nos idées, avec plus de moyens, de monde et donc de répercussions. 

Clémence Farrell : Oui, elle a permis d’ériger ce mouvement en culture légitime et de raconter son histoire. C’était essentiel. C’est d’ailleurs très touchant de voir le public qui vient à l’exposition. C’est un public que nous n’avons pas l’habitude de voir dans les musées. Voir ces visiteurs qui dansent et qui chantent au cœur du parcours me procure une joie immense et énormément de gratitude.

 

Hip-Hop 360 à la Philharmonie est à découvrir jusqu’au 24 juillet 2022.

© Nathanaël Mergui

Joey Starr dans le studio de l’émission Sky Boss, 2003  © Nathanaël Mergui / Nathadread pictures

© Mat Jacobs© François Gautret

à g. © Mat Jacob, à d. © François Gautret

© Sophie Bramly

Danseurs à la Grange aux Belles, Paris, 1984 © Sophie Bramly

© Loik Dury

Cut Killer à Radio Nova « Cut Killer Show », 1995 © Loik Dury

© Marc Terranova© Marc Terranova

à g. Dee Nasty, à d. Afrikaa Bambaataa. © Marc Terranova

© Mat Jacob - Tendance Floue

Mode 2, Paris, 1991 © Mat Jacob / Tendance Floue

© Maï Lucas

Image d’ouverture : MC Solaar à la sortie de son 45 tour « Bouge de là », 1990 © Maï Lucas

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