Devenue photographe après des études de géographie, Andréa Mantovani rend compte des enjeux environnementaux dans la dernière forêt primaire d’Europe, en Pologne. Loin du photojournalisme, ses images s’aventurent sur le terrain du conte.
« Il paraît qu’on peut juger d’une époque à la manière dont elle traite ses forêts »
, rappelle Andréa Mantovani, citant Être forêts – Habiter des territoires en lutte du philosophe militant Jean-Baptiste Vidalou. Car c’est bien une lutte qui a sensibilisé la photographe, il y a deux ans, quand elle a commencé ce travail pour rendre compte du conflit opposant les forestiers de l’État polonais aux écologistes.
Il faut se rappeler que le site de Bialowieza, en Pologne, abrite la dernière forêt primaire de plaine d’Europe. Terrain de chasse privilégié du tsar Alexandre II de Russie au XIXe siècle, cet espace a été laissé en l’état durant la Seconde Guerre mondiale, avant d’être classé au patrimoine mondial de l’Unesco en 1979. Et quand une partie des arbres ont été décimés par la prolifération du scolyte de l’épicéa, un redoutable parasite, le ministère de l’Environnement polonais s’est lancé dans une vaste campagne de déforestation censée préserver ce patrimoine. Mais les environnementalistes, redoutant la perte du caractère naturel de cette forêt quasi originelle, ont tenu à ne pas bouleverser l’ordre des choses. Leur opposition s’est manifestée par des camps éphémères, des mini-ZAD, et toute une série d’actions destinées à protéger cette réserve de biodiversité.
Deux visions du monde
Une situation plus compliquée qu’il y paraît, précise Andréa Mantovani : « Au cœur de cette “dernière forêt primaire”, deux visions du monde s’opposent: celle des anciens pays communistes, traditionnelle, conservatrice ; et celle de la démocratie, libérale, citoyenne, écologique et hyperconnectée. » Le conflit a évolué avec le dossier déposé par les activistes devant la Communauté européenne, cette dernière ayant fini par porter plainte contre le gouvernement polonais en le menaçant de lourdes sanctions financières s’il poursuivait ses campagnes de déforestation. Les coupes ont été stoppées, et les écologistes ont fini par avoir gain de cause. Afin de rendre compte de cette histoire, Andréa Mantovani s’est éloignée du photojournalisme pour faire une incursion dans le domaine du conte. Associant des images de paysages où se déploie cet « espace mystérieux et fascinant » à d’autres photos plus métaphoriques des relations ambivalentes entre hommes et nature, l’artiste à la formation de géographe nous propose une autre lecture du territoire. Un territoire auquel elle s’est profondément attachée, envisageant de retourner sur place afin de développer de nouvelles approches, plus plastiques peut-être. Une manière très personnelle de redistribuer les cartes de la représentation.
Le Chant du cygne / Bialowieza Forest d’Andréa Mantovani
Du 27 septembre au 27 octobre 2019
Fisheye Gallery, 2 rue de l’Hôpital-Saint-Louis, 75010 Paris
© Andréa Mantovani