À l’occasion de la refonte du magazine Trax, on vous invite à découvrir un portrait publié dans leur dernier numéro. #MeToo, #BalanceTonPorc, #MusicToo… Les grands éveils sociaux du XXIe siècle n’auraient pas été possibles sans Twitter, Instagram, Facebook, et, depuis peu, TikTok. Derrière nos écrans se cache une génération à la militance nouvelle, offrant des solutions pour lutter contre les violences sexuelles et sexistes dans l’industrie de la musique. Trax a rencontré six figures d’une révolution à l’aube – focus sur Lola Levent. Cet article, rédigé par Cécile Giraud et Charlotte Calamel-Duprey, est à retrouver dans le numéro n°231 de Trax.
L’appartement de Lola Levent est comme beaucoup d’autres dans la capitale : petit, pas très lumineux, avec pas mal de vis-à-vis. Dès qu’on y entre, on comprend vite que le lieu est habité par « un rat de bibliothèque fan de rap », comme elle se décrit elle-même. En témoignent le portrait de Booba accroché au mur et les piles de livres signées Paul Éluard, Samuel Beckett ou Violette Leduc. Les fesses posées au sol, devant une tasse de thé en porcelaine, Lola raconte ses marquantes années bruxelloises : « C’était une belle entrée en matière dans le monde du sexisme et des agressions sexuelles, décrit-elle. Mais à l’époque, je ne m’en rendais pas compte, je voulais me faufiler dans la scène du rap belge pour bosser en label. » Lola enchaîne ainsi beaucoup d’expériences, formatrices telles que des piges pour des médias comme Yard, Check ou la plateforme Beware et d’autres, carrément amères : un stage chez un photographe graveleux et plus tard un job de talent scout sous le joug d’un boss aux propos vraiment limites. Elle fréquente alors la fine fleur du rap franco-belge. Mais à chaque fois, les choses se finissent toujours pour les mêmes raisons : le sexisme et les boys’ club.
C’est chez NoFun, l’émission de Binge Audio, que Lola validera définitivement son intuition : parler de rap quand on est une femme n’a rien de facile. L’histoire remonte à 2018, quand elle est invitée dans l’émission aux côtés des journalistes Mehdi Maïzi, Shkyd et Brice Bossavie. Lola, pourtant grande fan de Lomepal, critique son dernier album baptisé Jeannine. À la fin de sa chronique, elle tente une comparaison entre l’artiste belge et le rappeur Prince Waly dans une formule que Lomepal prend en grippe : « L’élève a dépassé le maître ». Alors que Shkyd ne mâche pas ses mots pour critiquer, lui aussi, l’album en question, c’est pourtant Lola qui paie. Deux jours plus tard, Lomepal la traite de « bouffonne » dans une story Instagram, l’accusant d’instaurer un climat de compétition malsain entre les deux rappeurs. « C’est allé trop loin, rejoue-t-elle. Adrien Lagier, le réalisateur des clips de Damso, Niska, Orelsan et Lomepal m’a harcelée pendant une semaine en m’envoyant des “sombre pute”, “ta mère la pute”, etc. L’émission n’a pas été visée, c’est moi qui ai tout pris. Sur le coup, la production de l’émission m’a soutenue, mais ils ne m’ont jamais rappelée par la suite. C’est là que j’ai pris conscience que je ne pouvais pas faire comme les mecs : être tranquille, les pieds en éventail, à raconter n’importe quoi sur un plateau. »
Lola Levent photographiée par © Rebekka Deubner
Une sororité se met en place
En 2019, en même temps qu’elle travaille dans un label, elle continue d’écrire pour Yard et contacte Emily Gonneau pour un article intitulé, on vous le donne en mille, « #MeToo dans l’industrie de la musique. » Finalement, le papier ne paraît pas mais Lola veut briser l’omerta pour de bon. Il lui faut des contenus chocs, du temps et des skills en Photoshop. Entre mars et juillet 2020, des femmes témoignent sur Twitter contre les rappeurs Retro X et Tengo John, accusés respectivement de viols et de harcèlement. Petit à petit, les têtes commencent à tomber et les victimes sont de plus en plus nombreuses à lever le voile sur les violences sexuelles dans l’industrie de la musique. Lola sent bien qu’une sororité se met en place et elle veut en être. Le compte Instagram D.I.V.A Infos prend donc forme et appelle à témoigner, quand l’association Change de Disque, qu’elle cofonde avec Emily, tente de révolutionner l’industrie de la musique. Sur Street Press, Lola Levent relate avec Inès Belgacem en se tembre dernier l’agression subie par la victime de Roméo Elvis. « Que les affaires soient de notoriété publique ou non, explique-t-elle, je m’assure que les victimes sont suivies psychologiquement et je les redirige vers des avocates féministes qui peuvent les conseiller gratuitement. »
Malgré le shit storm incessant de ces deux dernières années, Lola Levent garde espoir. « Le rap est en fait probablement un milieu plus féministe et plus avant-gardiste que ceux des autres genre musicaux, explique-t-elle. C’est un genre porté par les jeunes et par les réseaux sociaux. Le public est prêt et il a envie que les choses changent. »
Image d’ouverture : Lola Levent photographiée par © Rebekka Deubner