« Sortie d’atelier » : les regards croisés de trois femmes photographes

17 mars 2021   •  
Écrit par Finley Cutts
« Sortie d'atelier » : les regards croisés de trois femmes photographes

Jusqu’au 17 avril, la galerie lyonnaise Regard Sud expose les regards croisés de trois femmes photographes : Mélissa Boucher, Silvana Reggiardo et Laure Vasconi. L’exposition Sortie d’atelier se présente comme une libération de visions confinées.

Mélissa Boucher, Silvana Reggiardo et Laure Vasconi. Trois photographes, trois femmes – dont les travaux photographiques s’opposent sur bien des aspects – se retrouvent présentées côte à côte à la Galerie Regard Sud à Lyon, jusqu’au 17 avril. Jusqu’alors « confinées et dormantes dans les ateliers », leurs œuvres se libèrent alors et offrent de nouvelles dimensions. « Aucun thème ne relie, en apparence, les différents travaux. Cependant entre eux s’esquisse une combinaison d’émotions, d’idées et de réflexions communes sur l’acte photographique », poursuit la commissaire d’exposition Frédérique Chapuis. Car les trois artistes imposent des écrans – plus ou moins opaques – entre le médium et le sujet photographié. Mélissa Boucher capture « l’érotisme d’un geste fugitif stoppé dans un flux d’images », et Silvana Reggiardo « l’impalpable jeu de reflets sur les vitres d’une tour de bureaux ». Quant à Laure Vasconi, elle photographie « une indicible tristesse sur des visages inconnus ou célèbres, brouillés par un balayage de trame de télévision ».  Reflets, épaisseurs, sensations… Avec une attention particulière à la lumière, les trois auteures interrogent comment cette dernière se matérialise dans l’image. Elles livrent alors trois séries singulières – autant d’observations justes qui interrogent l’acte photographique et son sujet.

La supposée objectivité du médium

Laure Vasconi nous propose l’une de ses toutes premières séries, Canal, réalisée il y a 20 ans. En capturant directement la surface de la télévision, elle interroge le cryptage que la fameuse chaîne de diffusion mettait en place pour inciter les spectateurs à payer un abonnement. Car par sa manière de « crypter l’image tout en la rendant suffisamment visible pour attirer le consommateur », Canal + avait développé un langage visuel propre. L’artiste saisit ces images, nouvelles en leur temps, les analyse et révéle leurs parties manquantes. Singulières, ces brouillages mettaient en exergue le coût des images, car « il fallait payer pour qu’elles deviennent claires », rappelle Frédérique Chapuis. En confrontant l’image diffusée par cette chaîne propageant les valeurs dominantes et l’image subjective formée dans son viseur, Laure Vasconi interroge l’étrange incertitude du réel. Car finalement, ces images cryptées ne sont-elles pas plus honnêtes qu’une photographie claire, léchée, dissimulant ses réelles intentions ?

© Laure Vasconi© Laure Vasconi

Canal © Laura Vasconi

© Laure Vasconi

Vue d’exposition, Canal © Laura Vasconi

Dans sa série Scrolling – ou « faire défiler », Mélissa Boucher interroge les codes de l’image pornographique et notre rapport à ces derniers, dans le désir de livrer une lecture alternative. « C’est une réflexion autour du flux d’images, à travers des captures analogiques que j’ai réalisées de films post-porn féministes et de live-sex cams : ces vitrines de la pornographie qu’on trouve sur internet », avance l’auteure. En manipulant toutes ces images qui défilent à la surface de nos écrans, l’artiste convertit ces apparitions en photogrammes. Mélissa Boucher présente ainsi ces corps et ces gestes sous un verre réfléchissant pour former « des sortes de fantasmes, d’images subliminales, qui ne se voient pas au premier coup d’œil », explique-t-elle. « Dans ces scènes, je privilégie les moments de latence, d’abandon, qui génèrent des sortes de pertes de repères ». Le désir disparaît et les corps s’évaporent : on ne retient plus que les traces d’incantations fantasmagoriques qui s’amusent de la supposée objectivité du médium photographique.

© Mélissa Boucher© Mélissa Boucher

© Mélissa Boucher

Scrolling © Mélissa Boucher

Enfin, Silvana Reggiardo pousse jusqu’à l’abstraction le questionnement autour de l’écran et de l’interprétation. Munie d’un téléobjectif, l’artiste capture les reflets des vitres et forme des compositions géométriques ciselées. Elle s’amuse à aplatir l’image pour la ramener à sa simple surface et révèle ainsi les bornes du médium. « C’est un travail sur l’expérience de la prise de vue, mais aussi sur l’expérience de l’image, par l’installation », explique-t-elle. En privilégiant la planéité de la représentation – mais aussi de la présentation – du sujet, Silvana Reggiardo réduit toute distance et nous fait perdre tout repère. « Plus encore que la ville, elle capte avant tout les diaprures de la lumière qui jouent sur une façade. Alors les reflets des lieux s’agrègent à l’image comme une seconde peau – le trouble et la distraction s’installent subrepticement », explique Frédérique Chapuis. Comme dans les travaux de Laura Vasconi et Mélissa Boucher, la lumière apparaît comme le sujet principal de l’acte de création. Par leurs nombreuses expérimentations, les trois auteures s’amusent des frontières inhérentes au 8e art et décortiquent les enjeux de l’image photographique.

 

Sortie d’atelier

Galerie Regard Sud, 3 Rue des Pierres Plantées, 69001 Lyon

© Silvana Reggiardo© Silvana Reggiardo

Sans titre © Silvana Reggiardo

© Silvana Reggiardo

Vue d’exposition, Sans titre © Silvana Reggiardo

Image d’ouverture : Canal © Laura Vasconi

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