Organisé par les Rencontres d’Arles, l’Association pour la diffusion de l’art photographique (Adap) et l’île de San Servolo – située à 10 minutes de vaporetto de la place Saint-Marc –, Venezia Photo propose un programme de stages avec des grands noms de la photographie. En m’inscrivant à la masterclass du gourou de la pub, je pensais rencontrer un personnage haut en couleur. Je n’ai pas été déçu.
Chaque photo est une mise en scène
On se retrouve le premier jour, à une douzaine de personnes, dans une grande salle avec une superbe vue sur la lagune. Pour nous guider dans nos prises de vue du lendemain, Oliviero Toscani nous donne sa vision de Venise : Venise est une ville vendue et corrompue par le commerce depuis le début de son histoire, d’où l’intitulé du stage, Venice on sale. Puis l’artiste italien nous raconte sa manière de concevoir son métier, ce que doit faire un photographe aujourd’hui, comment il doit se comporter pour réaliser ses images. À la manière d’un cinéaste, dont il rassemble les compétences, le photographe doit penser le scénario, signer la mise en scène, assurer la direction artistique, la direction de la photo, et la prise de vue. « Chaque photo est une mise en scène », martèle Oliviero Toscani.
Lecture critique féroce
Briefing le lendemain, à 9 heures, avant de prendre le vaporetto. Avant 15 heures, chacun doit ramener une série d’images qui seront projetées et commentées en groupe. Je me retrouve dans la situation d’un étudiant qui doit réaliser ses photos et les défendre en public devant un maitre qui n’a pas pour habitude de mâcher ses mots. Et effectivement, la première séance de « lecture critique » est assez féroce. La tension s’installe, les critiques pleuvent, quelques larmes coulent, certains clichés sont validés par le maître… Toscani insiste alors pour que nous fassions un travail sur nous. Il est important de se connaître pour savoir quelles photos réaliser. Il nous donne un premier autoportrait à rendre pour le lendemain matin, avec lecture critique à 9 heures. Pendant le repas du soir, tous les stagiaires s’interrogent sur ce qu’ils vont bien pouvoir faire.
© à g. Coline, à d. Laurène
Photographier, c’est s’exposer
J’ai mal dormi, mais j’ai pris deux séries d’images, j’ai finalement gardé la première. Chaque stagiaire projette son autoportrait avec appréhension. « Photographier, c’est s’exposer », détaille le maître, qui s’est un peu adouci depuis la veille. Il est plus prévenant, explique qu’une bonne photo permet à celui qui la regarde de voir un peu plus loin. Un peu comme si l’on était au niveau du rebord d’une fenêtre et que l’image nous faisait gravir une marche, rehaussait notre point de vue et agrandissait notre perspective.
Difficile de tricher
Oliviero Toscani délivre une lecture des images impressionnante. Sans s’embarrasser de questions techniques, qu’il évacue d’un revers de main, il s’attache à ce que l’image provoque en nous. « La photo, c’est ce que l’on ressent », affirme-t-il. Et dans cette construction « aucun détail n’est petit, nous répétera-t-il chaque jour. Chaque détail est comme la pièce d’une mosaïque. Tout est le fruit d’un choix, d’une décision. » Difficile de tricher avec Toscani. « Les yeux, c’est l’expression du cœur ; la bouche, c’est celle du ventre, l’autre partie du cerveau, décrypte-t-il devant un bel autoportrait réalisé par une stagiaire. Pouvoir analyser les images doit vous conduire à mieux analyser la réalité. »
Être soi-même
Dernière séance de lecture avec la troisième livraison d’autoportraits, les résultats sont meilleurs. Tout le monde a le sentiment d’avoir progressé : les quatre étudiants de l’école CE3P, l’étudiante en philo, la rédactrice en agence de pub, et tous les autres stagiaires… Oliviero Toscani nous offre des digressions sur l’histoire de l’art, projette des tableaux d’Andrea Mantegna, peintre italien de la Renaissance, nous recommande la lecture du livre Ornement et crime d’Adolf Loos, un architecte autrichien du XIXe siècle. Il nous encourage à y croire, les bonnes photos ont besoin d’engagement. « Il ne faut pas baisser les bras, ne pas être complexé par ce que l’on est, et avoir le courage de remettre en question ce que l’on sait. » Il nous raconte l’angoisse de sa première commande pour Harper’s Bazaar, à 23 ans, et sa manière de la surmonter. Après trois jours de repérages intensifs où il ne trouvait aucune idée, il s’est posé cinq minutes pour prendre une glace. Et là, un peu relâché, il a vu un enfant faisant un caprice pour avoir un ballon… et tout s’est mis en route. L’idée de la collection a pris forme. Il fallait qu’Oliviero Toscani redevienne lui-même.
© à g. Nathan, à d. Léa
© à g. Yavidan, à d. Olivier
© Eric
© Agnès
© Coline
Image d’ouverture © Eric