« Voyages de mémoire » : Patrick Zachmann raconte l’histoire oubliée des Juifs

16 février 2022   •  
Écrit par Apolline Coëffet
« Voyages de mémoire » : Patrick Zachmann raconte l'histoire oubliée des Juifs

Jusqu’au 6 mars, le Musée d’art et d’histoire du Judaïsme nous emmène dans les Voyages de mémoire de Patrick Zachmann. Une errance de 45 ans dans les chemins sinueux de la quête d’identité, illustrée en près de 300 clichés, qui fait également l’objet d’un ouvrage coédité par l’Atelier EXB et le mahJ.

Dès son ouverture, le Musée d’art et d’histoire du Judaïsme a eu à cœur d’intégrer le 8e art à ses collections temporaires ou permanentes. Pourtant, jusqu’à Voyages de mémoire, il n’avait encore jamais consacré la moindre exposition personnelle à un photographe vivant. C’est donc tout naturellement que l’institution a décidé d’y remédier en accueillant Patrick Zachmann. Une rétrospective qui va de soi – et qui s’accompagne d’un bel ouvrage coédité par l’Atelier EXB et le mahJ –, car l’artiste français est d’origine juive. Et cette seule condition a considérablement influencé son œuvre, de même que le regard qu’il porte sur le monde extérieur.

Les Voyages de mémoire de Patrick Zachmann ont commencé à l’aube des années 1980. Le jeune homme entamait alors une carrière de photoreporter, sans songer à devenir photographe à part entière. Mais c’était sans compter ce bienheureux concours de circonstances qui survient dans de nombreux projets, et qui a modifié sa trajectoire. Car sa démarche professionnelle – une enquête sur les Juifs de France – se superposait déjà parfaitement à une approche beaucoup plus personnelle. « Mes premières photos professionnelles, mon premier reportage, explique-t-il, c’était en 1979, et je croyais que ce travail ne durerait que le temps de publier un sujet dans un magazine. »

Pourtant, quelque chose l’attirait inéluctablement vers cette thématique, comme s’il s’agissait de sa destinée. « Lorsque j’apprends en 1981 que le premier rassemblement mondial des survivants de la Shoah doit avoir lieu à Jérusalem, je n’hésite pas », affirme-t-il. Tout au long de ses recherches, c’est un seul et même fil d’Ariane qu’il déploie dans les limbes des réminiscences. Il explore l’héritage familial, avant de s’aventurer aux confins des résurgences collectives. Une manière intime de témoigner de la malléabilité d’une mémoire pourtant essentielle à la construction de chacun d’entre nous. Aussi bien en tant qu’individu qu’en tant que communauté nationale ou religieuse.

© Patrick Zachmann / Magnum Photos

« Salle Gaveau », Paris, 16 mars 1981

Un journal intime dans lequel beaucoup se retrouvent aujourd’hui

Pour les besoins de son enquête, Patrick Zachmann s’est aventuré dans les moindres couches du judaïsme français. Les Juifs oscillent entre deux extrêmes qui ne se rencontrent pas : orthodoxes – dans lesquels il ne se reconnaît guère – ou laïques. Comme pour faire table rase du passé douloureux, certains arborent fièrement leur origine tandis que d’autres préfèrent la diluer pour s’en défaire totalement. Une entreprise différente qui tend vers un même but et interroge l’artiste. Qu’est-ce qu’être Juif dans nos sociétés contemporaines ? L’est-on vraiment si l’on est déjudaïsé ? Au fil de ses pérégrinations se dessine alors une quête de soi au travers des autres, seule entrée possible vers un renouement avec ses propres racines.

Car le mutisme des traumatismes passés a éteint la foi et amenuisé l’héritage. Son père polonais ashkénaze tait la déportation qui a tué ses parents. Sa mère séfarade passe sous silence la misère de la colonisation de l’Algérie. « Je suis devenu photographe parce que je n’ai pas de mémoire. La photographie m’a permis de reconstituer les albums de famille que je n’ai jamais eus, les images manquantes devenant le moteur de ma recherche. Les planches contact sont mon journal intime », déclare-t-il. Un journal intime dans lequel se retrouve beaucoup de Juifs aujourd’hui, mais pas seulement.

Afrique du Sud, Chili, Rwanda, Hongrie, Algérie, Maroc ou bien Pologne… Patrick Zachmann a multiplié les voyages en terres inconnues. L’expérience juive l’a certainement sensibilisé aux problématiques de l’identité, de la disparition et de l’exil. Ou autrement dit, des thématiques inhérentes à ce peuple qui erre depuis l’Exode d’Israël hors d’Égypte. À mesure qu’il appréhendait son histoire personnelle, le photographe s’est ouvert à celle des autres. Car la reconquête des souvenirs perdus est perceptible dans chacune des nations. Elle n’a ni origine ni frontières, elle est universelle.

 

Voyages de mémoire, Atelier EXB, 39 €, 224 p.

© Patrick Zachmann / Magnum Photos

« Soirée privée », Paris, 1981

© Patrick Zachmann / Magnum Photos

« Mémorial de Yad Vashem », Jérusalem, 1981

© Patrick Zachmann / Magnum Photos

« Autoportrait avec ma mère », Paris, 1983

© Patrick Zachmann / Magnum Photos
« Monsieur et Madame Friedmann », Paris, 1981
© Patrick Zachmann / Magnum Photos
« Cimetière de Bagneux », 1981

À g. « Monsieur et Madame Friedmann », Paris, 1981, à d. « Cimetière de Bagneux », 1981

© Patrick Zachmann / Magnum Photos

« Parc des Buttes-Chaumont », 1983

© Patrick Zachmann / Magnum Photos

« Une photographie de ma mère datant des années 1940 »

© Patrick Zachmann / Magnum Photos

« Prière, rue des Rosiers », Paris, 1979

© Patrick Zachmann / Magnum Photos

Explorez
Performer l'invisible : Hoda Afshar et l'acte de regarder
Speak the Wind, 2015-2020 © Hoda Afshar, Courtesy de l'artiste et de la Galerie Milani, Brisbane, Australie.
Performer l’invisible : Hoda Afshar et l’acte de regarder
Avec Performer l’invisible, Hoda Afshar transforme une partie du musée du quai Branly – Jacques Chirac en espace de réflexion sur le...
30 septembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les images de la semaine du 22 septembre 2025 : poésie, transmission et écologie
© Léo d'Oriano
Les images de la semaine du 22 septembre 2025 : poésie, transmission et écologie
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les images publiées dans Fisheye donnent à voir des messages d’émancipation, de ruptures avec les...
28 septembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Valentin Derom : photographier le soin dans toute son ambivalence
© Valentin Derom
Valentin Derom : photographier le soin dans toute son ambivalence
Avec Support Systems, Valentin Derom explore les gestes de soin là où on ne les attend pas : dans les étables, aux côtés de son père...
26 septembre 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Contenu sensible
Marvin Bonheur et Sofiya Loriashvili rejoignent la collection SUB de Fisheye Éditions !
Only you and me © Sofiya Loriashvili
Marvin Bonheur et Sofiya Loriashvili rejoignent la collection SUB de Fisheye Éditions !
Forte de son nom faisant à la fois référence à la subculture, la subversion et au mot « suburb » ("banlieue" en anglais), la collection...
24 septembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Les images de la semaine du 29 septembre 2025 : expositions et représentations
Speak the Wind, 2015-2020 © Hoda Afshar, Courtesy de l'artiste et de la Galerie Milani, Brisbane, Australie.
Les images de la semaine du 29 septembre 2025 : expositions et représentations
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les pages de Fisheye vous parlent de certaines des expositions du moment et de sujets qui...
Il y a 9 heures   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Grace Land : Nick Prideaux transcrit son expérience de la perte
© Nick Prideaux
Grace Land : Nick Prideaux transcrit son expérience de la perte
Dans le cadre d’une résidence artistique à la Maison de la Chapelle, au cœur de la Provence, Nick Prideaux a imaginé Grace Land. À...
04 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Billie Eilish, hasard et ambivalence : dans la photothèque de Jenny Bewer
La première photographie qui t’a marquée et pourquoi ? © Jenny Bewer
Billie Eilish, hasard et ambivalence : dans la photothèque de Jenny Bewer
Des premiers émois photographiques aux coups de cœur les plus récents, les artistes des pages de Fisheye reviennent sur les œuvres et les...
03 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
InCadaqués 2025 : des images entre le vent et la mer
The Wave, Jamaica, 2013 © Txema Yeste, courtesy of Galería Alta
InCadaqués 2025 : des images entre le vent et la mer
Du 9 au 26 octobre 2026, le village côtier de Cadaqués, en Catalogne, devient le théâtre du monde de l’image. Quarante photographes, en...
03 octobre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger