Le 41e prix Oskar Barnack vient d’être présenté au cœur du Leitz-Park, à Wetzlar, en Allemagne. L’occasion de découvrir les travaux de jeunes auteurs qui s’inscrivent dans la tradition documentaire humaniste, de retrouver l’œuvre de Ralph Gibson récompensé pour l’ensemble de son œuvre, et de visiter un lieu entièrement dédié à la passion de la marque au point rouge.
Connaissez-vous la planète rouge ? Non, je ne vous parle pas de la planète Mars, mais du petit monde des passionné·e·s de la marque au point rouge née au début du 20e siècle à Wetzlar, petite cité en périphérie de Francfort. Leica est une marque iconique riche d’une longue histoire qui a commencé avec la microscopie, avant de se développer dans la photographie avec l’invention d’un boitier compact qui va révolutionner le 8e art, et de se poursuivre notamment avec la fabrication de jumelles. Il n’est pas ici question de retracer les différentes péripéties traversées par la société et par ses inventeurs de lentilles de légende, on rappellera juste qu’au début des années 2000 la marque a traversé de fortes turbulences avant que son nouveau directeur, M. Kaufmann, ne décide de revenir sur les lieux historiques où a été inventé le format 24×36, pour y bâtir le Leitz-Park, un complexe qui associe une manufacture, un musée, un hôtel, une galerie, un centre d’archives, un store, une académie, un café (avec de délicieux desserts), sans oublier une application dédiée… C’est aujourd’hui une véritable Leica City construite à quelques kilomètres du centre de Wetzlar, où Oskar Barnack y prit le premier cliché avec son prototype mis au point en 1913. À quelques rues de là, et plus d’un siècle auparavant, c’est le jeune Goethe qui y fit ses études de droit et connut ses premières déceptions sentimentales qui nous valurent Les Souffrances du jeune Werther, mais c’est une autre histoire…
© Ralph Gibson
Si Oskar Barnack a inscrit Wetzlar sur la carte de la photographie, on peut aujourd’hui revenir sur ce lieu historique pour non seulement étudier les archives, découvrir l’histoire des multiples inventions de la marque et sa myriade de boitiers, mais aussi y voir des photographies. Des images réalisées par les plus grand·e·s autrices et auteurs depuis l’apparition de la marque, mais surtout y voir comment les générations contemporaines écrivent l’histoire de la photographie d’aujourd’hui. La 41e édition du prix Leica Oskar Barnack vient juste d’être accrochée sur les nouvelles cimaises du musée, et l’on ne peut que se réjouir de formidable vitalité de la création des 13 photographes exposés. Et en particulier les deux lauréats : Ana Maria Arévalo Gosen, qui avec sa série Dias Eternos signe un reportage bouleversant sur le quotidien des femmes détenues dans les prisons du Venezuela et du Salvador – un travail distingué aussi par les prix Lucas Dolega et Camille Lepage – ; ainsi que Emile Ducke, dans la catégorie Newcomer, qui nous entraine à Kolyma – Along the road of Bones, sur les traces des victimes du Goulag de l’ère stalinienne en Sibérie. Une odyssée au cours de laquelle il retrouve des témoins et des survivants de ce passé tragique. On notera par ailleurs que l’écriture documentaire fortement empreinte d’humanisme traverse l’ensemble des photographes de cette shortlist, démontrant au passage, s’il en était besoin, que la tradition profondément attachée à l’humain et à son environnement chère à Oskar Barnack reste toujours très vivante.
Membre émérite du jury et véritable star de cette édition, Ralph Gibson reçoit le Leica Hall of Fame Award pour l’ensemble de son œuvre et investit les murs de la grande galerie avec ses superbes images réalisées avec ses boitiers au point rouge. Il se voit aussi offrir un nouvel appareil gravé à son nom, consécration ultime. Son style particulier, qui transcende le réel pour produire un univers onirique paradoxalement ancré dans notre monde, s’écarte de la tradition humaniste et journalistique traditionnelle. Véritable inventeur d’une syntaxe visuelle qui inspire plusieurs générations de photographes depuis six décennies, ce formidable créateur de formes, et par ailleurs guitariste de talent, a su trouver le ton juste pour donner à cet ensemble de photographies un sentiment d’harmonie.
© Ana Maria Arévalo Gosen, lauréate prix Leica Oskar Barnack
© Emile Ducke, lauréat newcomer
© Ralph Gibson
Image d’ouverture : © Ralph Gibson