BAOUMMM, un Japon en guerre

14 janvier 2019   •  
Écrit par Lou Tsatsas
BAOUMMM, un Japon en guerre

Photographe d’origine japonaise, David Favrod signe Hikari, un projet singulier dédié à ses grands-parents, survivants de la Seconde Guerre mondiale. Une série poignante, mêlant onomatopées, mémoire et histoire.

Né à Kobe, au Japon, d’une mère japonaise et d’un père suisse, le photographe David Favrod a grandi en Europe. Après avoir poursuivi des études de commerce, l’artiste s’est tourné vers le 8e art. Il porte sur le monde un regard « poétique, peut-être un peu romantique, avec une touche de mélancolie ».

Sa série Hikari se penche sur la notion de mémoire et sur l’histoire de ses grands-parents. « Ce sont des témoins de la guerre, or les survivants s’éteignent progressivement. La mémoire va bientôt laisser place à l’histoire », explique le photographe. Son projet s’est construit à tâtons. Un travail laborieux. « J’y ai reconstruit des faits que je n’ai pas vécus, mais qui, malgré moi, m’ont façonné », précise David Favrod.

Si sa famille porte en elle le traumatisme d’un conflit mondial, ses grands-parents ne lui en ont parlé qu’une seule fois. Une nuit singulière, qui reste ancrée dans l’esprit de l’artiste. « Ils m’ont raconté leurs souvenirs. Comment la maladie peut emporter deux sœurs, et puis la honte, le soulagement, les pastèques… C’est comme s’ils m’avaient transmis leurs souvenirs dans un léger murmure, à peine perceptible, avant qu’ils ne disparaissent », se remémore-t-il.

© David Favrod

BAOUMMM

Introduire du son dans les images

Pour David Favrod, la mémoire est une fiction. Subjective, elle se transforme et influe sur nos perceptions. Dans l’esprit de ses grands-parents, la Seconde Guerre mondiale est synonyme de bruits assourdissants. « Lors des bombardements de la ville de Kobe, ils allaient se cacher dans des abris souterrains. Il y faisait noir. Ce qui restait de ces incidents ? Le son des explosions, des avions, les cris des gens », raconte le photographe. Celui-ci s’interroge alors : comment introduire du son dans les images ?

En s’inspirant des mangas et de leurs onomatopées, l’artiste a peint des bruitages sur ses tirages. Viuuu, Tatatatata, Arrgh, BAOUMMM… autant d’effets sonores placardés sur les photographies, en katakanas, syllabaires japonais utilisés pour transcrire les sons et mots d’origine étrangère. Dans ces bruits, la mémoire de ses grands-parents reprend forme : les mitraillettes, les hurlements et la peur incessante. Parmi ces images auditives, se trouve Pika don. « Dans cette création, je peins directement le résultat d’une idée de son, explique David FavrodPika don est un mot qui a été intégré dans le vocabulaire japonais après l’explosion des bombes d’Hiroshima et de Nagasaki. “Pika” signifie le flash, une lumière brillante, et “don” représente l’explosion, vue et entendue par les survivants. »

Le résultat est fascinant. Après avoir pris une photo d’un flash, le photographe a scanné le négatif brûlé, et explosé le grain de l’image à l’aide de Photoshop. Un symbole poignant, écho de la violence extrême des explosions.

© David Favrod

© David Favrod

© David Favrod

© David Favrod

© David Favrod

© David Favrod© David Favrod
© David Favrod

Pika don

© David Favrod© David Favrod© David Favrod© David Favrod© David Favrod

© David Favrod

Explorez
Les yeux dans les yeux, portraits de la collection Pinault
© Annie Leibovitz
Les yeux dans les yeux, portraits de la collection Pinault
À l’occasion de la cinquième édition d’Exporama, la Collection Pinault fait halte à Rennes avec une exposition magistrale sur le...
31 mai 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Le  7 à 9 de CHANEL, les visages pluriels d’Omar Victor Diop
© Omar Victor Diop
Le 7 à 9 de CHANEL, les visages pluriels d’Omar Victor Diop
Troisième invité du cycle "Le 7 à 9 de CHANEL", le photographe sénégalais Omar Victor Diop a offert au public du Jeu de Paume un moment...
30 mai 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
À l'Abbaye de Jumièges, la Tunisie tisse son histoire
Série « Intimité brodée », projet « Woven Window », 2024 © Asma Ben Aïssa
À l'Abbaye de Jumièges, la Tunisie tisse son histoire
Célébrant dix ans de coopération avec la Tunisie, le département de la Seine-Maritime met en lumière le travail de onze artistes de la...
28 mai 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Mondes en commun : le musée Albert Kahn sème un inventaire photo dans son jardin
Siân Davey, The Garden XXIII, 2023
Mondes en commun : le musée Albert Kahn sème un inventaire photo dans son jardin
Jusqu’au 7 septembre 2025, le musée Albert Kahn présente la deuxième édition de son festival de photographie contemporaine Mondes en...
23 mai 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Les yeux dans les yeux, portraits de la collection Pinault
© Annie Leibovitz
Les yeux dans les yeux, portraits de la collection Pinault
À l’occasion de la cinquième édition d’Exporama, la Collection Pinault fait halte à Rennes avec une exposition magistrale sur le...
31 mai 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Le  7 à 9 de CHANEL, les visages pluriels d’Omar Victor Diop
© Omar Victor Diop
Le 7 à 9 de CHANEL, les visages pluriels d’Omar Victor Diop
Troisième invité du cycle "Le 7 à 9 de CHANEL", le photographe sénégalais Omar Victor Diop a offert au public du Jeu de Paume un moment...
30 mai 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Huá biàn : quand la musique se rebelle
Love, de la série Huá biàn © Agathe Veidt
Huá biàn : quand la musique se rebelle
Agathe Veidt saisit la fête et les chants de révolte au cœur d’une boîte de nuit de renom à Shenzhen. De retour en France, elle tricote...
29 mai 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Sidewalk Stills, les déchets des marchés de Charles Negre
Sidewalk Stills © Charles Negre
Sidewalk Stills, les déchets des marchés de Charles Negre
Dans Sidewalk Stills, le photographe français Charles Negre offre un regard sensible sur les déchets qui parsèment les sols des marchés...
29 mai 2025   •  
Écrit par Lou Tsatsas