Dans So close when you look away, une série à la beauté saisissante, Ruizhe Hong illustre cette sensation étrange de distance que l’on expérimente parfois au sein d’une relation et interroge, à travers elle, notre rapport à l’amour.
« Mon approche de la photographie relève à la fois de l’intuition et de l’insinuation. Si j’aime capturer les instants qui me touchent et me surprennent, j’utilise aussi des accessoires, des objets pour apporter une charge symbolique à mes images. J’aime les implications subtiles qui se glissent dans ces éléments et qui invitent les spectateurices à se plonger dedans une seconde fois », raconte Ruizhe Hong. Diplômé de l’université de Westminster, le photographe indépendant s’est établi à Londres, où il développe des projets délicats, mariant portraits et préoccupations intimes. Amoureux de l’image depuis un voyage au Japon, il s’applique à figer son environnement, mettre en scène ses émotions avec un raffinement captivant, esquissant, à l’aide de couleurs et de sensations, des arabesques gracieuses sur le monde.
Cette douceur, le photographe la développe dans So close when you look away. Une série qui tire son nom d’un vers du poète chinois Gu Cheng : « Si lointain lorsque tu me regardes, si proche lorsque tu observes les nuages ». « L’auteur y décrit cette sensation de distance que l’on peut ressentir au sein d’une relation intime », précise Ruizhe Hong. Une absence, un recul inexplicable qui parasite l’idylle, teinte l’amour des nuances du doute. « J’ai voulu combiner ces vers pour souligner cette notion d’aliénation qui contredit la proximité habituelle », ajoute-t-il.
Vaut-il mieux durer que brûler ?
Dans les images de Ruizhe Hong, les doigts s’enlacent, les corps se rapprochent, mais les regards fuient, se perdent dans un néant inconfortable, dans la complexité des relations. Quel est ce vide qui naît dans la poitrine ? L’amour est-il assez fort pour l’emplir à nouveau ? Inspiré par les Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes, l’artiste imagine une série de créations métaphoriques, illustrant « les émotions subtiles que les amant·es vivent au cours d’une relation ». « L’un des textes de l’ouvrage soulève par exemple des questionnements fascinants : pourquoi l’amour viable est positif ? Pourquoi vaut-il mieux durer que brûler ? », poursuit-il. Se considérant lui-même comme un passionné dont les flammes s’embrasent et s’éteignent rapidement, Ruizhe Hong donne à voir, à travers So close when you look away, la fragilité des émotions – l’imprévisible, le vulnérable. Fils enroulés autour des mains, glaçons, allumettes, coquilles d’œufs, oiseaux… Les symboles se multiplient, convoquant tour à tour le caractère éphémère de l’amour, la souffrance qu’il engendre, le besoin de liberté qui grandit, et le détruit.
Pourtant, malgré l’inéluctabilité de la rupture – celle qui amène les pleurs, mais ravive le feu de la nouveauté – les personnages mis en scène par l’artiste semblent s’accrocher, s’approcher comme pour, à deux, devenir suffisamment fort·es et endurer l’accalmie. Ces lueurs d’espoir, Ruizhe Hong les teintent d’une sincérité touchante. « Si les compositions avec des objets ont été planifiées minutieusement, certains décors, certains gestes de mes modèles étaient de belles surprises. Une improvisation qui m’a permis d’épouser l’inconnu », confie-t-il. Un projet tout en nuance, où la beauté transperce le réel pour mieux interroger notre manière d’appréhender l’autre.
© Ruizhe Hong