Avec On est des milliers à s’enfuir, la photographe française Mathilde Guiho s’intéresse à notre rapport au corps. Une étude poétique du mouvement perçu comme une recherche de la liberté.
« Ma démarche est proche de la fiction documentaire. C’est une sorte de géographie intime. Tâtonnant dans mon quotidien, dans mes souvenirs, je recherche la vulnérabilité des corps, les mystères intérieurs, comme une trace »
, confie Mathilde Guiho. Originaire des bords de la Loire, l’artiste est tombée amoureuse de la photographie après avoir acheté un boîtier argentique dans une brocante. Elle mêle, depuis, les formats, les couleurs et les monochromes pour réaliser des séries charnelles inspirées par le mouvement.
On est des milliers à s’enfuir, projet devenu récemment série photographique, se lit comme une étude sur les états des corps, des membres qui bougent, des gestes, des postures. Une collection d’images prises de manière spontanée, réunie autour d’un thème commun. « Le point de départ était une séance de prise de vue avec un couple d’amis qui m’ont offert leur intimité. J’ai ensuite continué ce travail avec des portraits, et des autoportraits qui semblaient contenir la même énergie », précise l’artiste.
Un réel poétisé
Dans les clichés de Mathilde Guiho, les corps se caressent, s’enlacent, dansent et s’abandonnent. Ils vivent, au rythme d’une musique sourde qui guide leurs pas, leurs intentions. « Le titre de la série est une citation du philosophe Gaston Bachelard, tiré de son essai L’eau et les rêves. Il y défend un rapport au réel poétique et poétisé, dans les mots, mais aussi, et surtout, dans les sens », explique la photographe. « Nous vivons dans un monde où la relation au corps est très utilitaire, et nous sommes nombreux à partir à la recherche d’un autre rapport à soi, et aux autres, à vouloir s’ancrer et habiter nos corps », poursuit-elle.
Cadrages serrés, postures figées, alambiquées… À travers ses compositions, l’auteure souhaite proposer au regardeur une expérience immersive, partager avec lui cet élan, cette « impulsion de vie ». Les silhouettes dans les clichés évoquent une certaine tension, un point de fuite, comme une envie impérieuse de ressentir chaque parcelle de nos membres. Souvent isolés, les bras, les visages, les jambes traduisent un besoin de reconquête – celui de sa propre personne. Lancés dans une valse silencieuse, les corps capturés par l’artiste se tordent, à la recherche d’une liberté totale, une liberté gagnée grâce à la danse, à la musique… à l’art.
© Mathilde Guiho