Le photographe italien Giacomo Mancini nous transporte dans les collines mystiques de ses campagnes natales. Obscures et expérimentales, ses études plastiques révèlent la richesse cachée du paysage : une réflexion intime et spirituelle.
« Je suis profondément amoureux de la nature et de la terre sur laquelle je vis, je suis vraiment attaché à mes racines »
, avance Giacomo Mancini, photographe originaire de la région des Marches, à l’est de l’Italie. Sa campagne natale, parsemée de villages perchés et de vallées glaciaires, devient un théâtre à ciel ouvert pour ses mises en scène fantastiques. Avec un grand souci esthétique, l’artiste voit dans les paysages de son enfance un exutoire quasi métaphysique, où les corps de ses modèles – et de lui-même – se fondent dans la nature. « Mes prises de vue sont le résultat de la symbiose de l’homme et du paysage. Ce faisant, il devient capable de le vivre, de le comprendre, de le manipuler et enfin de le représenter. Les sujets font partie du paysage », poursuit-il. Acte intimement performatif, l’instant photographique révèle les liens cachés entre les sujets et la nature qui les entoure.
Chevaux, moutons, vaches… Un esprit animal émane des images de Giacomo Mancini. Par-delà les collines spectaculaires forgées par les éléments, il surgit et donne vie au territoire. « L’observation de ces animaux nous donne un aperçu du sens de la vie », explique-t-il. Cette âme se manifeste dans une intuition poétique, que l’artiste saisit au vol et cultive pour réaliser ses images. « Au départ, il y a une ambiance, un poème, un rêve – petit et vague –, et je sens que je dois le saisir. Je me laisse emporter par les sons et les paysages. Je sais qu’il y a quelque chose de plus grand que moi et je le laisse me transcender. Quand je prends des photos, je ne pense à rien, mon cerveau est à moitié endormi, il rêve », raconte-t-il. En résultent des récits oniriques sur fond de mythologies. Dans le clair-obscur des collines, on reconnaîtrait presque le Mont Olympe où siègent divinités, et autres allégories majestueuses.
Illustrer l’ineffable
« La conscience de la fragilité de la vie m’a poussé à chercher dans la photographie, un moyen de me détacher de cette banalité anonyme. C’est trouver une force dans une certaine extension de mon existence »
, avance le photographe. Exercice méditatif et spirituel, le 8e art se métamorphose en une porte vers un univers plus vaste, en osmose avec la nature. Une intention que l’auteur traduit dans le traitement plastique de ses clichés. Dans un élan expérimental et formel, il choisit de noircir les cieux : une façon de troubler le regardeur, et décupler les interprétations. « Je veux qu’il y ait une tension entre la lumière et les espaces sombres. Le ciel noir devient comme le rideau d’un théâtre – la frontière qui nous pousse vers l’inconnu. Quand j’assombris les cieux pour obtenir un noir profond, je cherche à représenter le cosmos et découvrir l’infini ».
Tarkovsky, Caravage, Cesare Pavese, Kafka… Ses influences vont du cinéma à la peinture, de la poésie à la littérature, mais c’est surtout dans les histoires et les traditions de sa terre natale que Giacomo Mancini puise son inspiration. De là, il emprunte figures et symboles qu’il explore pour illustrer l’ineffable. « J’essaie de donner de la lumière à mes visions. Un point précis, mais insaisissable fait de silences, d’espaces vides et de sensations que je ne peux pas décrire avec des mots. Quelque chose de l’ordre de la mémoire et de l’âme – et je crois fermement à l’immortalité des deux », raconte l’artiste. Dans l’immensité des campagnes, les notions de temps, de vide, et d’espace se confrontent au sublime – une beauté immense, mais vertigineuse. « Dans le paysage, la seule constante est le changement. Notre ego se confronte à l’existence, nous le reconnaissons et l’interprétons. Avec le ciel noir, le paysage va au-delà du regard : en fermant les yeux, il dépasse l’espace réel, et se prolonge dans l’espace mental. Le paysage est une extension de nos pensées et de nos rêves ». D’une réflexion proche du bouddhisme, prenant racine dans les terres qu’il chérit, l’artiste extrait une photographie instinctive et naturelle. Ses expérimentations formelles aboutissent en une série d’images intimes, mais universelles – un paradoxe qui reflète sa quête de l’indicible.
© Giacomo Mancini