Les histoires que l’on écrit, et celles qui nous forgent

21 avril 2021   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Les histoires que l’on écrit, et celles qui nous forgent

En mêlant poésie et photographie, Mouna Saboni interroge les notions d’identité et de territoire. Avec Ceux que nos yeux cherchent et ceux avant eux encore, elle compose un récit intime, inspiré par l’histoire de son pays d’origine : le Maroc.

Dans les œuvres de Mouna Saboni, photographe franco-marocaine de 33 ans, les montagnes de lettres et de roches se croisent et forment un paysage abstrait où les mots et les images racontent, tour à tour, une histoire. Attirée par les arts plastiques et la poésie depuis son plus jeune âge, l’autrice s’est d’abord prise de passion pour le reportage et le documentaire. « Cela dit, aujourd’hui, et depuis quelques années, il m’est difficile de catégoriser ma pratique. J’y laisse désormais une plus grande place à la sensibilité, à la subjectivité, aux dimensions onirique et métaphorique que peuvent contenir les images », précise-t-elle.

Aux frontières des médiums, ses projets prennent racine dans son intimité. Laissant ses propres expériences la guider, Mouna Saboni interroge les notions de territoire, de mémoire, et d’identité. Une démarche contemplative qu’elle enrichit grâce à différentes techniques. Ceux que nos yeux cherchent et ceux avant eux encore s’inscrit dans cette lignée. « Cette série est la suite du projet Traverser. En 2018, j’ai décidé de partir en voiture au Maroc. J’avais besoin d’interroger ma double culture à travers le prisme de la photographie. Pour la première fois, il me fallait traiter cet héritage de manière personnelle, interroger ma propre histoire », se souvient-elle. Débute alors un travail au long cours, développé dans le cadre d’une résidence à la Fondation Montresso à Marrakech.

© Mouna Saboni / Courtesy Galerie 127

Extrait de la série Traverser

Interroger nos connaissances

« Puis, une fois

Traverser terminé, j’ai eu envie de pousser plus loin mes réflexions. J’ai souhaité ouvrir mon travail à une réflexion plus universelle », explique Mouna Saboni. Pour la première fois, la photographe intègre à son œuvre des images d’archive, qu’elle trouve au fond d’une petite boutique, à Tanger. Une collection de clichés vernaculaires datant d’entre 1924 et 1967. « Je les scrute comme si elles étaient des photos de famille, comme pour y trouver des indices, des réponses », ajoute-t-elle. Parmi ces trouvailles, le portrait d’un homme, posant en uniforme militaire, fumant une cigarette, assit sur un muret. Au dos du tirage ? « Mayo 1939 ». Une inscription qui ouvre la porte à mille récits. « Mai 1939 est une date importante dans l’histoire de l’Espagne. Ce mois marque la fin de la guerre civile, et l’avènement du régime franquiste. C’est également le début de la Seconde Guerre mondiale, ce qui m’a poussé à aller chercher plus en profondeur l’implication du Maroc dans ce conflit mondial, mais également son rôle dans l’histoire espagnole. C’était quelque chose que je découvrais ! », confie l’artiste.

Et, au fil des superpositions, des collages, entre son propre récit et ces fragments inconnus, Mouna Saboni interroge nos connaissances. Comment le territoire dans lequel nous grandissons nous influence-t-il ? Et de quelle manière l’humain agit-il sur son environnement ? En quoi l’histoire nous modèle-t-elle ? Quelle est son importance ? Sans chercher à apporter de réponses, la photographe vogue, explore ses propres certitudes, et tente de saisir, au vol, des bribes d’une chronique universelle.

© Mouna Saboni / Courtesy Galerie 127

Forger son propre monde

« Il y a la mémoire comme des vagues. Insaisissable. Et les souvenirs comme le ciel. Mouvants avec le vent. Il y a le silence. Et à chaque mot le paysage semble danser »

, peut-on lire, dans la calligraphie qui habille le cliché du militaire. Un poème écrit en arabe et en français. Car, pour Mouna Saboni, « il y a l’histoire universelle, et il y a les histoires personnelles ». Habituée à entrecroiser ses pratiques visuelle et littéraire, l’autrice affine son regard, et insuffle un souffle poétique à sa série, en créant des œuvres chimériques. « Je ne peux pas réaliser de projet photographique sans écrire à côté, confie-t-elle. Cependant, les textes ne sont jamais une illustration des images, et vice versa. Pour moi l’un complète l’autre, mais ne le remplace pas. Ce sont deux éléments qui, en s’associant, en forgent un troisième. »

À l’acrylique, en calligraphie délicate et bilingue, elle appose sur ses réalisations des pensées. Des vers venant nourrir une iconographie qui peine, parfois, à illustrer les subtiles nuances que la photographe souhaite instaurer. Dans Ceux que nos yeux cherchent, l’écriture prend une place encore plus importante. Elle forme des silhouettes et devient un paysage à part entière, écho des panoramas silencieux qui peuplent les clichés. Et, dans cet environnement étrange, fait de souvenirs et de rêves, Mouna Saboni forge son propre monde. Un univers né d’un passé commun, d’événements formateurs, et d’une narration plus personnelle – des traces intimes à demi oubliées. Dans la lignée de Mahmoud Darwich, ou encore Marguerite Duras – des écrivains qu’elle admire – la photographe signe, avec cette série, une autofiction contemplative, rythmée par le bercement des mots et le silence serein des grands espaces.

© Mouna Saboni / Courtesy Galerie 127

 

© Mouna Saboni / Courtesy Galerie 127© Mouna Saboni / Courtesy Galerie 127

 

© Mouna Saboni / Courtesy Galerie 127

 

© Mouna Saboni / Courtesy Galerie 127

 

© Mouna Saboni / Courtesy Galerie 127

 

© Mouna Saboni / Courtesy Galerie 127© Mouna Saboni / Courtesy Galerie 127

 

© Mouna Saboni / Courtesy Galerie 127

© Mouna Saboni / Courtesy Galerie 127

Explorez
What’s the word? Johannesburg! : L'Afrique du Sud se raconte à la Fondation A
© Afronova Gallery, Alice Mann, Siphithemba Mshengu, 2018.
What’s the word? Johannesburg! : L’Afrique du Sud se raconte à la Fondation A
Accueillie jusqu'au 21 décembre 2025 à la Fondation A, située à Bruxelles, l’exposition What’s the word? Johannesburg! nous présente le...
18 septembre 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Ekaterina Perfilieva et l'intime au cœur de la fracture
© Ekaterina Perfilieva, Nocturnal Animals
Ekaterina Perfilieva et l’intime au cœur de la fracture
À la fois distante et profondément engagée, Ekaterina Perfilieva, artiste multidisciplinaire, interroge une contemporanéité...
17 septembre 2025   •  
Écrit par Milena III
Le ministère de l’Aménagement du territoire fête les 80 ans de la Libération
Megapolis, Puteaux, 2025 © Aleksander Filippov
Le ministère de l’Aménagement du territoire fête les 80 ans de la Libération
À l’occasion des 80 ans de la Libération, les ministères de l’Aménagement du territoire et de la Transition écologique ont lancé...
08 septembre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Les coups de cœur #558 : Marina Viguier et Emma Tholot
Carmela, série Carmela © Emma Tholot
Les coups de cœur #558 : Marina Viguier et Emma Tholot
Marina Viguier et Emma Tholot, nos coups de cœur de la semaine, explorent la théâtralité comme outil de résistance, de liberté et de...
08 septembre 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Nos derniers articles
Voir tous les articles
What’s the word? Johannesburg! : L'Afrique du Sud se raconte à la Fondation A
© Afronova Gallery, Alice Mann, Siphithemba Mshengu, 2018.
What’s the word? Johannesburg! : L’Afrique du Sud se raconte à la Fondation A
Accueillie jusqu'au 21 décembre 2025 à la Fondation A, située à Bruxelles, l’exposition What’s the word? Johannesburg! nous présente le...
18 septembre 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Jet Siemons : combien de temps faudra‑t‑il pour qu’on m’oublie ? 
© Jet Siemons
Jet Siemons : combien de temps faudra‑t‑il pour qu’on m’oublie ? 
Dans Hannie & Billo – The Trail Project, Jet Siemons retrace la trajectoire d’un couple, Hannie et Billo, à partir d’un album photo...
18 septembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Ekaterina Perfilieva et l'intime au cœur de la fracture
© Ekaterina Perfilieva, Nocturnal Animals
Ekaterina Perfilieva et l’intime au cœur de la fracture
À la fois distante et profondément engagée, Ekaterina Perfilieva, artiste multidisciplinaire, interroge une contemporanéité...
17 septembre 2025   •  
Écrit par Milena III
Le 7 à 9 de Chanel : Valérie Belin et la beauté, cette quête insoluble
© Valérie Belin
Le 7 à 9 de Chanel : Valérie Belin et la beauté, cette quête insoluble
L’heure des rencontres « 7 à 9 de Chanel » au Jeu de Paume a sonné. En cette rentrée, c’est au tour de Valérie Belin, quatrième invitée...
16 septembre 2025   •  
Écrit par Ana Corderot