En réinterprétant ses archives ou celles d’inconnu·es, Mélanie Voron revit des instants longtemps disparus. Dans son univers photographique, les époques se disloquent et les personnes oubliées reprennent vie, parfois sous des formes indistinctes.
« Juillet 2005, Hospices de Beaune. J’avais trois ans et demi. On m’a mis un appareil photo dans les mains, j’ai déclenché. Un geste anodin, sans arrière-pensée, sans savoir que des milliers allaient suivre jusqu’à l’overdose, sans savoir que seize ans plus tard j’utiliserai celles des autres », nous confie Mélanie Voron sur l’origine de sa pratique. À 21 ans, diplômée d’un bachelor en art option photographie et images animées, la photographe nourrit depuis ses premières séries un besoin compulsif de retravailler les souvenirs, de revenir sur ce qui a été pour fabriquer de nouvelles histoires. À la manière d’un Michel Gondry ou d’un Milan Kundera, dont elle admire le travail, la jeune artiste arpente les époques, les lieux qui lui échappent en créant un univers visuel marqué par une nostalgie qu’elle ne saurait nommer. Fouillant dans ses récits personnels, dans ceux de ses histoires de famille ou bien dans les archives d’inconnu·es, elle part à la recherche d’indices de sensations déchues pour recréer quelque chose de vivant.
Ainsi, elle retravaille les images en multipliant les procédés, en déstructurant les corps et les surfaces. Cassettes VHS pixélisées à l’extrême, photographies réimprimées sur du papier mâché, redéveloppées sur des films Polaroïd… Une création en appelle une autre et la nouvelle forme qu’elle donne à ses images symbolise leur renaissance. « Je scrute les photos du passé jusqu’à trouver le détail laissé pour compte. Les instants photographiés laissent en arrière-plan un à-côté mis sous silence. Alors, j’essaie de faire de ce fragment l’essence même de ma nouvelle image (…) C’est en segmentant les pixels que des détails invisibles au premier regard regagnent la surface et initient une nouvelle narration. J’utilise et rephotographie ce qui a été pour aller à la rencontre d’une époque qui m’est inconnue. Je fais table rase du passé de l’image, j’apporte une relecture et j’enclenche un récit inédit », explique-t-elle.
Cache-cache de la mémoire
Il y a la Maison bleue, peut-être celle adossée à la colline, où l’on vient à pied, où celles et ceux qui vivent là-bas ont jeté la clef. Cette maison bleue, c’est celle surtout du titre de la série que Mélanie Voron a composé par amour pour les années 1980 – fascinantes à ses yeux, chargées d’irrévérences culturelles. Une époque dans laquelle elle s’est plongée, scrutant les moindres éléments de tendresse apparaissant dans les pas rapides ou élancés, dans les regards qui se perdent ou dans les mains paresseuses qui se touchent. « C’est une époque qui me hante par ses tendances, son rythme de vie, ses musiques, son ambiance et les récits avec lesquels j’ai grandi. Je me suis imaginé les histoires, discussions, atmosphères et énergies de chaque moment qui m’étaient proposées. Pour recréer le fil de ces images, je me suis attardée sur des fragments. J’ai ponctionné ce détail éclair, celui qui vient à ma rencontre. »
Bien que les autres projets de l’artiste évoquent des récits distincts, un lien immuable entre les sujets de ses séries se fait sentir. C’est comme si, par la rencontre que Mélanie Voron a faite de ces personnes dont on ne connaît parfois ni le nom ni le visage, chacun·e partageait le plaisir de reprendre vie à nouveau sous nos yeux. Et c’est bien là tout le cœur du travail de l’artiste : se réapproprier un temps révolu pour qu’il devienne à jamais le présent de celui ou celle qui le regarde. « Ma démarche me permet de revivre un instant, de le transformer et de le donner à voir. Je joue au cache-cache de la mémoire, avoue-t-elle, avant de conclure en ces mots, Les images échappent à la chronologie du temps, elles sont ce qu’il reste et ne meurt jamais : les seules choses qui défient les limites temporelles.»
© Mélanie Voron