À la fois essentielles pour les matières premières et méconnues du grand public, lieux de transformation et de sauvegarde, les carrières de pierre constituent des espaces ambivalents. De ce constat, Jonathan Pourchet a voulu tirer un jeu photographique, qu’il développe avec sa série Quadraria.
Si certaines images de Quadraria donnent à croire, au premier abord, à un paysage naturel, un élément seulement indique le contraire : les sillons laissés dans le sable par des tracteurs. Le titre de la série, pour les latinistes, signifie « pierre carrée » – un indice supplémentaire de cette dimension industrielle : Jonathan Pourchet explore les carrières de pierre, qui font partie intégrante du paysage belge. Exploitées mais largement inexplorées, il en a repéré, depuis quelques temps, le potentiel photographique. « Je veux à tout prix lever le voile sur ce qui m’est caché », exprime-t-il. Situées à faible distance des villes, qui en sont les principaux centres de consommation, les carrières belges demeurent insoupçonnés par le grand public. Pourtant, elles restent si proches de lui géographiquement que le photographe s’est laissé fasciner par ces espaces.
Ce dernier souhaite suivre les traces des pionnier·ères du « post-documentaire », c’est-à-dire de celles et ceux qui cherchent à se libérer des codes et règles classiques du genre. Parmi elleux, on compte Bryan Schutmaat, Edward Burtynsky, ou encore Yuri Ancarani, dont le documentaire Il Capo, dans lequel il explore une carrière creusée comme un puits d’une centaine de mètres de profondeur – cette fois-ci au cœur des Alpes italiennes – a conquis notre auteur : « Tout de suite, j’ai eu envie de voir ces décors, mais chez moi, en Belgique » , confie-t-il.
Quadraria ou la pierre mise à nu
« Quadraria a été ma première ouverture sur le monde documentaire et sur les esthétiques que j’aimerais développer », poursuit Jonathan Pourchet. Sa démarche se fonde sur un jeu avec les contrastes et l’ambivalence de ces lieux : la désaturation des images, le brouillage des frontières entre paysages naturels et industriels lui permettent de créer une série immaculée, minimaliste, nette, aux couleurs pastel. La post-production acquière quant à elle, pour le photographe, une importante toute particulière au cours de son processus créatif. C’est elle qui lui « permet d’exposer [s]a sensibilité, de sortir du réel, tout en exprimant un sentiment bien réel ». Et si ces lieux perdurent, c’est parce que nous avons besoin des matières qu’ils transforment. « Qui dit matière première, dit exploitation. Ce n’est ni noir ni blanc, ces lieux existent », déclare Jonathan Pourchet, instaurant ainsi une correspondance parfaite entre le fond et la forme de ces images. Quadraria apparaît également comme la formulation d’une interrogation fondamentale : comment obtenir ces éléments dont nous avons tant besoin sans, au cours du processus, détruire une partie de l’écosystème ? Il explique : « Cette série montre l’incrustation de ces géantes structures de taule au sein du paysage, mais également, les moyens déployés pour limiter l’impact de l’Homme, comme ces rangées de panneaux solaires dans une ancienne fosse, aujourd’hui inondée. Les imperfections de ces falaises sont des habitats parfaits pour certaines espèces, parfois menacées. »
« Les personnes ont tendance à percevoir ces lieux comme laids, gris et maussades, poursuit Jonathan Pourchet. L’esthétique que je développe correspond à ce que j’en ai vu : une nature exploitée sur certaines parcelles, qui reprend forme et vie sur d’autres. Je souhaitais insister sur la douceur qui enveloppe ces installations hors normes. » La plupart d’entre nous ignorons que ces territoires constituent autant des lieux de sauvegarde que de transformation. Pourtant, ils font l’objet d’une surveillance toute particulière, notamment de la part de spécialistes de la faune et de la flore. « Avec le temps, explique l’auteur, une flaque d’eau peut devenir une mare, et cette même mare peut rapidement devenir une zone protégée au sein du domaine. Elle sera alors délimitée afin que les organismes s’y étant installés puissent évoluer. » Engagé, Jonathan Pourchet a présenté pour la première fois son travail au public en novembre dernier, lors du festival Territoires en Images, association de photographie et de cinéma documentaire, qui s’interroge sur les manières que nous avons, nous êtres humains, d’investir, matériellement et symboliquement, le monde que nous vivons. Quadraria apparaît ainsi comme une tentative d’y donner quelques éléments de réponse.
© Jonathan Pourchet